jeudi 26 septembre 2019

Caïffa

Résultat de recherche d'images pour "photo de colporteur de marchand de café"On peut lire cette inscription en lettres dorées à l'arrière de sa poussette: "Au Planteur de Caïffa". La roue folle sous le timon a un léger voile. Les deux autres touchent le patin de frein chaque fois que le garçon amorce un virage ou force un peu sur la barre de poussée pour s'extraire d'un nid-de-poule. Il va de ferme en ferme, de grange en grange, suivant la route sinueuse qui parfois, traverse un hameau isolé, une foire aux bestiaux.
Il a peut-être l'âge de son chien. Des yeux d'épagneul, un air cabot. Il porte un tablier bavette, une casquette plate et une sacoche d'épicier en cuir fauve qui lui sangle le bas du ventre. On l'entend haranguer son traineau de loin, surtout quand Canaille aide à la traction. Les après-midis d'été, le goudron colle aux bandages; il lui faut rouler sur le bas-côté. L'hiver, la neige crotte les garde-boues et fait souvent miroir avec le chemin disparu. Mais qu'importe le temps s'il n'a pas ses dix francs de recette. Qu'importe les nuages de poussière d'une automobile pétaradante, la voiture à cheval du hongreur qui l'entraine invariablement dans le fossé. Qu'importe le froid et les engelures, la pluie, le soleil qui lui cisaille la nuque, le hurlement des loups, la fatigue, les jets de pierre. Il est le caïffa, un itinérant qui vend avant tout de la bonne humeur et colporte les nouvelles.

Chaque jour, à l'aube, il gagne le dépôt, pèse puis ensache les pochons de café, la chicorée et le chocolat à croquer qu'il stocke dans les tiroirs superposés de sa carriole. Sur le coffre bâché, devant un comptoir, un assortiment de levures et de farines, d'épices, de sardines en boîtes, de sucre ou de lessive bon marché, un éventaire qu'il doit chiner avec des ménagères ridées comme un pied de vigne. Des paysans chafouins et grippe-sous, des enfants gourmands, émerveillés. Un crayon gras sur l'oreille dont il mouille la mine machinalement, il prend commande avec l'air affable de celui qui sait vanter ses trésors. Il pointe un doigt, grimace, fait la toupie, virevolte, ramasse les timbres fidélité et laisse enfin Canaille japper la monnaie, la casquette entre les dents.
Les jours chauds, on lui offre un verre de vin. L'hiver, on l'autorise à dormir dans la paille nez à museau. Alors il chantonne, compte les étoiles, enlace son chien. Libre comme l'air.
Mais ce soir, il neige à pourfendre. Longtemps, dans les semaines à venir, on guettera les aboiements de Canaille...

(extrait texte Jonavin)

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