mercredi 16 octobre 2019

A la ligne

Je me suis levé tôt. Les ombres mouillaient la nuit. Autour de la montagne, un feu d'étoiles.
Dès l'aube, j'ai pris mon filet pochoir, une vieille raquette de tennis débarrassé de son cordage à laquelle j'ai rajouté la poche d'une épuisette. Papa l'avait dit : C'est à la rosée qu'il faut les prendre, quand elles sont engourdies par la fraîcheur nocturne!"
Le filet est très utile dans les marais herbeux. Suffit d'exercer des mouvements de balayage jusqu'à ce que la poche s'alourdisse. Évite de faucher après la pluie mais patiente avant un orage. Les sauterelles seront nombreuses et actives avec un ciel noir. Papa appelait ça la chasse éclair.
J'ai gardé ma prise dans un bocal hermétique.Un simple pot de confiture dont j'ai percé le couvercle.Conserve les vivantes disait-il. La sauterelle est l'appât le plus efficace quand les eaux se teintent.

Aussi, le ciel gronde encore que j'attache le manche de la canne sous la selle de mon vélo, laissant dépasser le scion bien au-delà du guidon.J'ai déjà préparé le panier en rotin, le raphia et les hameçons. Je pédale prudemment le long du ruisseau. Peu à peu, l'obscurité laisse place à une légère brume qui stagne dans les eaux basses. Parfois, un corbeau croasse, une branche flotte, griffure dans la nuit. A l'endroit de la montagne, là où le torrent se calme et forme un coude sans trop de courant, je pose enfin ma canne. Rien a changé. Ni les pierres formant un pont dans le tumulte apprivoisé, ni les roseaux jaseurs d'une fin d'été. Rien.

Studieux, je "lis" les mouvements de l'eau. Les courants, la profondeur. La discrétion, comment s'accroupir sans faire de bruit, comment s'interdire de patauger dans le lit du ruisseau quand la truite s'y couche. Tout comme tu me l'a appris. Peu importe la bredouille.
Je plombe assez bas, à quelques centimètres de l'hameçon afin de pêcher le plus léger possible. Car le poids est l'ennemi du pêcheur, mon garçon rappelle t-en.D'ailleurs, il n'est pas rare d'avoir une touche à moins de vingt centimètres d'eau. La canne est celle de mon enfance. Un long bambou avec un moulinet dans le talon, flexible mais fragile. Papa me l'avait fabriqué pour mes huit-ans. Entretoisée artisanalement, son fil intérieur conserve une glisse parfaite, même sous la pluie. Je la sert très fort, les yeux humides.

Ensuite, je fais passer l'hameçon derrière la tête de la sauterelle, sous le corselet, faisant ressortir l'ardillon de moitié. L'insecte gigote. Le plomb de touche est assez loin afin que l'appât puisse remonter dans le courant.C'est étrange. Les gestes sont mécaniques.
Il y a un peu de vent. Doucement je me couche à plat ventre. La truite est là. Méfiante. J'apprécie la distance qui nous sépare.Tandis que la sauterelle tombe à l'eau. Je la ferre sans hésitation.

Tu ris...

(texte Jonavin)

2 commentaires:

  1. Maintenant que la truite est pêchée, il faut la manger. Et sans doute qu'une bonne recommandation de vin est nécessaire. ;-) Et je mets un peu de Schubert en attendant. :-) Bises alpines fatiguées.

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  2. Ah oui bien vu Schubert.
    Avec la truite par exemple poêlée avec des amandes effilées, s'il n'y a plus de vin blanc suisse dans le placard un cidre brut peut faire l'affaire. (L'idéal un cidre brut du Limousin) mais sans les rayons en France c'est plutôt cidre Normand ou Breton.
    Bises du soir.

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