mardi 24 novembre 2020

Tango

 Vole ta courte robe en tulle paillette et résille noire. Un boléro cache tes yeux morts. D'ici, je peux entendre claquer tes chaussures en suédé noir, gansés d'un vieux rose fané sur le talon. Et un discret lacet ruban entamer tes frêles chevilles. La lumière transpire. Comme tes pas en miroir, enfumés, lustrés, tourbillonnants.

Danse, arrabalera, danse...
Mais tu voudrais bien les envoyer valser ces heures poisseuses. Tu les sens si torrides que tu décides d'en jouir immodérément. Car ici l'entracte se résume à une odeur, une chaleur. Un relent de gomina qui flotte en toutes les pièces. Un lupanar où le noir se fait soudain brillantine. Où les chemises blanches accusent des costumes confortables. Entre cicatrices et nez de boxeur, entre haine et mépris. Entre alcools forts et parfums corsés.
Danse encore...
Tu aimes pourtant ces parquets foulés par des pieds inconnus. Et de tes exigences, souvent brutales, le besoin de te déplacer d'un bras à l'autre. Cambrée dans le feu d'un regard, jambe arrière tendue, tu t'abandonnes parfois. Avec un danseur trop entreprenant. La braise d'une aube violentée. Les accords d'un bandonéon. Un tango assassin.
D'accord, la nuit s'effondre. Choquante, enivrante. Jambes légèrement écartées, la robe un peu relevée, elle finit de faire l'amour au petit matin. Puis file nue dans les boudoirs et les tripots, bousculant la respectabilité du jour qui la snobe sur ses pas vulgaires. Presque abattue de s'être trop donnée, elle danse à en crever. Comme toi. Alors un caïd met sa main droite dans ton dos. Son autre main posée à hauteur des yeux, brille comme une lame de couteau. Après une légère rotation du buste, il pousse ta jambe dans une parfaite castigada. Voyeur, ce caïd-là dégage une plainte sensuelle que tu peux identifier dans ses prunelles absentes. Sans gêner son guidage, tu te laisses gagner par le plaisir. Possédée, tu brûles déjà en enfer...

(texte Jonavin)

3 commentaires:

  1. J'aime les furieux et époustouflants escarpements de la passion qui s'envole en faisant oublier la sagesse, juste le temps d’un frisson. Jupon qui virevolte, lèvres rouge sang, regard de braise, talons aiguilles, bras en tenailles autour de la taille, la fièvre et le tourbillon qui soulèvent, enivrent et enivrent encore, jusqu’à ce que le petit jour demande grâce à la nuit...
    On peut sourire, le temps assassin, sadique mendiant qui tend sa sébile en salivant sur ses dents jaunies!
    La saison des fleurs passe. Le temps grignote nos heures avec la patience d'une souris. Il nous observe, avec ses yeux de saumon bouilli, dans cette lutte perdue d’avance, il nous regarde nous étourdir, nous abandonner à la danse jusqu'à l'épuisement.
    On se fabrique des souvenirs. Pour le temps d’après. De salutaires souvenirs à conter à des petits-enfants ébahis, quand nos jambes ne nous porteront plus…
    C'est une façon dérisoire mais exaltante de le tromper, ce maudit Temps!
    La vie est un tango argentin, un surprenant cocktail de musique sauvage en caraco de soie, de jubilation, d’effleurements et de nostalgie.
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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  2. Quand tu rencontres une personne dans ta vie affective, amicale, as tu toujours cette belle profondeur?

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    1. Si je sens la même profondeur chez la personne, alors oui.;-)
      •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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