Le prêtre Armand Morel a un vieil accent lorrain. De profil, je peux lire l’alphabet de Dieu dans les voyelles de sa voix sonnante. Comme une peau moite, elle transpire puis s’essouffle à mots espacés. Dans l’écho des brodequins ferrés, tintent les tiraillements douloureux de son pas claudicant. D’une haleine, voilà qu’il rabâche en bon perroquet, les pèlerinages de Pentecôte et l’itinéraire de cette route régionale emprunté autrefois par Charles Péguy. Je l’écoute réciter un passage de la crucifixion, calquant mon allure à sa démarche engourdie. A perte de vue, l’ombre de mon bâton gangrène la terre humide. Les champs de blés verts habités de vent. Et le ciel, qui arrosé de gouttes froides colle aux chemises. C’est un vent d’orage. Un vent boiteux qui trébuche sur la lecture du prêtre dans ses images d’Epinal.
Sac à dos, une
demi-douzaine de famille déambule le long des fossés. Contre les rafales,
quelques scouts ci-et-là, brandissent mollement leurs bannières multicolores. D’autres
encore, égrènent leur chapelet, tête basse, jambes lourdes, n’évitant plus les
flaques qui désormais, reflètent l’image d’un cortège désuni.
Du macadam
goudronné monte une odeur de mort lente. Dans le faisceau de plusieurs lampes
torches, le ciel semble à peine éclairé.
L’aumônier s’arrête
pour reprendre haleine. A cet endroit, le sol est caillouteux avec un chemin
tissé de ronces jusqu' à la borne. Il écoute battre son cœur fatigué par l’effort.
Je l’observe prendre appui sur sa badine. Un obèse du nom de Gaillac manque à l’appel,
ce qui porte à six maintenant, le nombre de fugitifs ou de disparus depuis la
veillée de prière.
L’averse
torrentielle de cette nuit a trempé les sacs de couchage. Et peut-être anéanti
le courage des plus fervents à combattre les doutes autour du bivouac. Dans ma
besace, un jeu de dominos et une édition de poche du roman " Robinson
Crusoé " ne sont qu’un alibi. Comme l’arsenic versé à petites doses dans
son café brûlant.
Le père Morel n’a
pas revêtu son costume ecclésiastique. Pas de longue robe boutonnée très haut
ni de chapeau à glands comme le curé d’Ars dans " le sorcier du ciel
". Juste un pull à col roulé vert pomme. De son front large, un bonnet
noir et quelques cheveux fillasse lui prête la crinière épaisse du bison.
Longtemps, j’ai cherché dans ce visage poupin, une figure vieillie, amère,
détestable. Mais je n’ai vu qu’un visage en pleine lune. Bouddha méditant sous
son figuier. Et la coiffe en plumes d’aigle d’un chaman Arapaho. Comme la
beauté du diable encorné pendant la danse du soleil, un totem dans un
face-à-face spirituel entre la bête et le danseur. Je n’ai vu que mes crimes,
fautivement quantifiables, atroces, calculés, prémédités.
texte Jonavin
Et bien! Le père Morel ne me semble pas très engageant malgré ses prières et son col roulé vert pomme et son visage poupin. Et puis le narrateur non plus finalement, lui qui parle de ses crimes. Comment va se terminer ce pèlerinage qui ressemble presque à un règlement de comptes? Bises alpines
RépondreSupprimerMince ! Il me manque une partie du texte, je ne retrouve plus ce passage. Désolé Dédé. Je vais mettre en ligne la suite.
RépondreSupprimerBises.