lundi 20 décembre 2021

Libe et Lulle





 Libe et Lulle sont deux demoiselles. Deux demoiselles qui font du zèle. Des coups bleus avec leurs ailes . Deux petites fleurs bleues avec quatre petites ailes et six gros ocelles.

Quand valsent les moustiques, elles font les gros yeux. A la piqûre d'un regard, prennent la mouche. Et tiquent ! Elles volent l'été, le temps et les volants de taie à l'étang. Des coussins de brume et de roseaux, un drap d'eau et de rosée...aquatique. Corsetées, elles voltigent de joncs en jonques, se chinent de jaune et de jonquille dans le crépuscule. Là où les nénuphars pullulent. Libe et Lulle, alors se congratulent, s'exhibent. Conciliabules et bribes se bercent  sur le trille d'un vent qui ulule avec les moulins à tan. Mais déjà tourne la roue à aubes. Un matin de papier bulle qui se dérobe avec les premiers papillons. Les premiers taons...

Là où la bonde s'émonde de ses branches mortes, Libe et Lulle capitulent dans la ronde. La fronde qui démantibule leurs mandibules, inhibe la diatribe de leurs sentiments ridicules. Elles ondulent sereines et reines, comme les battements d'une pendule, ce scribe malfaisant, cet immonde crapule. Là où la vase abonde, les pluies inondent la mare aux libellules. Et ces insectes agaçants, minuscules, soudain se dévergondent à contre-vent...

(texte Jonavin)

lundi 25 octobre 2021

Tupperware


 J’ai toujours aimé les réunions Tupperware.

Une réunion de femmes qui se déroulait souvent le vendredi soir.
A l’époque, Je n’aimais pas sortir dans les bars du centre-ville. Quitte à ne plus jouer au flipper sous les huées des midinettes, à ne plus voir leurs tee shirt moulants dont la fumée des cigarettes par surcroît me piquait les yeux.
J'avais abandonné le juke box et tout le tatouin.
Mieux que ça, je m’étais reconverti assistant "Tupperware".
La première fois, je me souviens quand ma mère avait organisé la première réunion.
J’avais délaissé les femmes romantiques du feuilleton télévisé.
Au premier coup de sonnette. Je m’étais retrouvé nez à nez avec de belles mamans maquillées, charmantes, parfumées, accompagnées de leurs filles.
Stupéfait ! Trouvant vite un prétexte pour aider ma mère dans les préparatifs. Gêné, timide malgré mes seize ans. Devant toutes ces dames et demoiselles dont les regards se posaient sur moi.
J'étais le seul garçon qui assistait à la réunion et je me demande si ce n'est pas à cette époque j'ai développé ma capacité de séduction en les observant.
Nicole arrivait toujours une demi-heure avant pour déballer le matos.
Elle dégageait une aura, une joie de vivre qu’elle communiquait. C’était une femme de 40 ans, issue du terroir qui travaillait la terre proche de Sainte-Mère-Eglise. Parfois le dimanche, elle nous invitait dans son corps de ferme pour le café 
Nicole vouait une admiration pour ma mère. Nous étions cinq enfants, sans doute, le fait d’être célibataire,  Elle appréciait de nous recevoir, et ça se voyait.
Nous aimions cet endroit champêtre. Où, en entrant ... Ca sentait bon la campagne.
Dans la pièce à vivre, trônait sur la table un vase de jonquilles, autour s’étalaient des bols en grès pour boire le cidre fermier.
Dans la cour, il y avait une petite mare, des canards, des oies, des poules, et un pressoir en forme de pierre.
Nous étions heureux.
Assis sur le rebord, ma sœur, mes frères et moi, attendions que tout le monde se rassemble pour partir en promenade.
Une découverte sur les chemins bordés de haies, où Nicole laissait nos yeux rêveurs se perdre dans la douceur des prairies parfumées.
Ma mère avait en charge les préparations culinaires, et la déco c’était vraiment son truc.
Nicole l’avait remarqué et puis le courant passait bien entre eux.
Je revois encore ma mère dans le grand séjour, image figée avec un plateau.
Quand les invités arrivaient, chaque hôte recevait son petit cadeau de bienvenue.
Ce vendredi-là, c’était la saupoudreuse beige.
Et le spectacle commençait.
Les objets, les couvercles, les boîtes hermétiques valsaient sous un flot de paroles.
Des gestes répétés des centaines de fois par une professionnelle méthodique, efficace.
Tournée dans l’axe de vente où se profilait les arguments pour créer le besoin et déclencher l'acte d'achat.
N’empêche, c’était une superbe idée ces boites miracles qui se superposaient bien plus dans le placard que dans le frigo mais tellement idéal pour la conservation des aliments sans aucune concurrence sur le marché. Les soi-disant marque Curver  ou autre que l’on trouvait en grande surface ne payait pas de mine devant la gamme Tupperware.
Eh oui ! Je l'entends encore.
(La tranche de jambon enroulée, se gardait bien plus longtemps dans la petite boîte hermétique)
La phrase magique. « Vous n’êtes pas sans savoir » ... Mesdames.
Et puis, il y avait toujours la dernière collection.
Les boîte ovales que personne n’avait vu, les petites dosettes, la petite pelle à farine, les petites boîtes gigognes de couleur pastel qui s’emboîtaient comme des poupées russes que chaque invité se passait entre les mains.
Ensuite, ma mère arrivait avec les préparatifs dont le fameux charlotte en forme rectangulaire à l'ananas où chaque tranche entière, décorée sur le dessus facilitait le découpage.
Chaque moule contenait 9 parts, tout frais démoulé, saupoudré de vermicelle.
Quand je pense, à ce petit bout de femme aux joues rouges respirant le bon air normand qui disait avec humilité ne rien connaître au commerce.
Sous son faux air paysan, elle était très cultivée, une redoutable vendeuse qui explosait le chiffre d'affaires de la concession. L'une des plus redoutables ambassadrices du département de la Manche. Se payant même le luxe de choisir ses plus beaux voyages aux quatre coins du monde.
Je me souviens encore, du
« Mesdames, Regardez, »
En deux trois mouvement,
Le shaker …
(Vendre, c’est prouver, qu’elle reprenait dans son discours).
Avec la dynamique gestuelle.
Top chrono…Une sauce émulsionnée, une vinaigrette … en 10 secondes devant les yeux médusés de la ménagère.
Les recettes vite fait bien faites.
Jamais de mots termites ne sortaient de sa bouche.
Facile, rapide, efficace, économique, solide, incassable…Ces intonations dont la persuasion faisait mouche.
Pendant la dégustation de la charlotte. A haute et intelligible voix, elle récapitulait les bons de commande. A ce moment, je partais subrepticement vers la cuisine pour appuyer sur le bouton rouge de la cafetière Seb afin de contenir mon fou rire. Et comme par enchantement, des articles supplémentaires se cochaient  au fur et à mesure naturellement dans la bonne humeur. Nicole ne perdait jamais le fil.
Depuis 10 ans, elle arpentait le Cotentin plus une partie du Calvados par tous les temps. Une citroën Visa, bourrée d'ustensiles en plastiques dans des ballots géants transparents correspondant aux ventes, qu'elle livrait après chaque réunion.
Une soirée organisée avec Nicole, c'était pour ma mère le Jackpot assuré en cadeaux.
Parfois, je pense à elle, au bocage, aux prairies... C’était une femme menue qui possédait beaucoup de qualités. Maintenant avec le recul, je comprends pourquoi elle était très courtisée dans le canton.
Oui, une simplicité conjuguée à la douceur de son corps, pétrie de gentillesse, une femme débordant d'énergie qui me fascinait du haut de mes seize ans.
Vivant seule en pleine nature au milieu du bocage sans compagnon.
Manquant juste à son bonheur…
 « Vous ne pouvez pas comprendre comme le silence pèse . » Qu’elle répliquait à ma mère concernant les enfants.
C’était une femme libre...
Aujourd’hui, j’ai encore la saupoudreuse de couleur beige,  en ce moment, elle squatte sur ma table.
C’était chouette ! Les Tupperware.

jeudi 23 septembre 2021

La rague

                                                                      

 

Je suis ta lame

Quand tu plonges un couteau,

Où les plaies comme des squames

N'ont que la peau sur les eaux.


D'un bleu de fer qui vire embruns

Rouille un terrain vague,

Et des cimetières marins

Pour aller pêcher dans la rague.


Souviens-toi

Les pieds dans les flaques

On entendait le ressac 

Faire le gué.


Viendras-tu sonder les ténèbres

Que les astres funèbres

Ont déjà noyé?

Souviens-toi les platanes

Haubans des noirs abysses

Et cette mer diaphane

Disparue à jamais...


Dans un filet d'écrevisses.

( Jonavin 2017)


dimanche 19 septembre 2021

Alain Souchon, Ame fifties


 Ferme les yeux vois

Un ballon qui s'ennuie
Sur la plage de Crotoy
Des gens qui rient
Ils ont un p'tit peu froid
Ces gens de Paris
Sur la plage du Crotoy
En face de Saint-Valéry
Les premiers baisers sages
Qui rendent fiers
Dans les cabines de plage
Derrière
Âme fifties
Âme fifties
Dans le Radiola
André Verchuren
Les enfants soldats
Dans les montagnes algériennes
La Picardie est belle
Sur la route ravie
En Aronde "Plein Ciel"
Qui rentre à Paris
Âme fifties
Âme fifties
Rue Campagne-Première
Personne le ramasse
Quand il tombe par terre
"Qu'est-ce que c'est dégueulasse"
Au salon de l'auto sous l'Dome
"Touche pas au grisbi, ducon"
Dans sa vedette Vendôme
Gabin bougon
Jeanne la fatale
File au festival à 200 à l'heure
Dans le train Mistral
Y a un coiffeur
Âme fifties
Âme fifties
Jean-Claude
Bernard, Marie-Claude
Gérard (âme fifties), Monique
Frégate Transfluide, Vedette Abeille
Patrick (âme fifties)
Peugeot 203
Monique, Alain, Françoise
4CV Renault (âme fifties)
Roger, Jacqueline (âme fifties)
Renée, Micheline
Quand c'est l'heure exquise
Viens sous la marquise
Dans un verre de gin fizz
Une légère brise

lundi 6 septembre 2021

Les passants de l'amer



Avec la marée, amarrée

Aux vitrines sémaphores

Les baleines échouées, parapluies bout-dehors

Jettent l’ancre aux tempêtes,

Et retiennent les silhouettes,

Comme les marins retiennent leur corps-mort.


Avec la marée, amarrée

A l’amer des passants

Au bout de la jetée, aux parkings de l’estran

Les caddies s’entrechoquent,

Et vont là de coque en coque,

Comme des marins ivres dans leur fiévreux caban.


Pendu aux mâts des réverbères, un phare radote

Reflet d’un enseigne quand la lumière tremblote.

Quartier-maître dans ces villes de misère

Qu’on ira mettre en quartiers, de ponts en ponts

De voile en voile, d’îles en ailes.


Avec la marée, amarrée

Aux vitrines qui dessoûlent,

Quelques signaux en morse labourent la foule

Et filent alors plein foc.

Dans le roulis des pébroques,

Titubent les passants comme des marins dans la houle.


(Jonavin 2017)


dimanche 5 septembre 2021

Du soleil dans les platanes


Je les trouvais beau les platanes à Château Gontier. 
A cette époque, je roulais l'automne d'Angers à Laval.
Sur la route, de cette nature insolite, j'm'en disais des choses, en regardant la mayenne angevine.
 « Une longue Démonstration c'est un sujet qui n’en demande pas plus au risque de s’éparpiller dans des descriptifs trop longs qui pourraient gêner le rêve"
Des instants courts qui ciblent,
« Le bonheur »,
Je le voyais comme une histoire en mouvement…
Une façon de voir la vie de l'autre côté,
Mais dans mon imagination, j’avais beaucoup de temps mort et je savais qu'il fallait davantage pour réveiller une dormeuse.
J’avais bien commencé par le premier regard mais je n’étais pas allé jusqu'au bout.
Cependant, elle avait marqué mon esprit...

vendredi 16 juillet 2021

Un nombre parfait 3ème et 4ème partie

 J'ai égaré le passage concernant l'escalier de Chartres pour la 3ème partie. Désolé, impossible de retrouver le fichier.

.../...
Vous sera craché autant de fois qu’il apparaît dans notre bible. Céleste, comme la béatitude, les anges. Comme ces corps, qui bientôt pourriront derrière un talus ou une porte cochère.
Céleste comme discipline et le nombre 13, au rang des chiffres maudits. Mais vous n’en savez rien, mon père. Vous, vous marchez en me parlant des étoiles, du pardon des hommes, d’une justice à l’encan du péché des fidèles qui vous suivent aveuglément
Hector Gaillac n’expiera pas du péché de gourmandise. Avant que je ne le rencontre, il doit fêter ses noces de tourmaline en avril prochain. C’est un boucher gras et adipeux, féru de viande bisonne qu’il bonimente parfois sur un marché couvert d’Issoudun. Je le tuerai avec une fourchette de maillechort planté dans la gorge. A vendre ses côtelettes, ce bon vivant dépeceur, touche au sacré.
Tout comme Amandine Creusot d’ailleurs, étudiante en histoire que j’étranglerai en récitant les Djinns de Victor Hugo. Elle aussi touche au sacré. Je l’ai rencontré lors du rassemblement des jeunesses chrétiennes à la gloire du pape. Froidement, je l’écoute me parler de son travail sur les tombes miniatures, sculptées dans la pierre de la Grande Pyramide. Sur le règne d’Osiris ou celui de Jéhu à Samarie en Israël. Comme une litanie où les chiffres résonnent dans un reliquat d’histoire déjà oublié.
Ce qui est mystère doit rester mystère.
Mieux que le crime, mon père, j’ai trouvé un nombre parfait…

(texte jonavin)

lundi 12 juillet 2021

Un nombre parfait (2ème partie)

 Au cœur de la Beauce, département de l’Eure et Loir, à moins de trente kilomètres de Chartres. C’est ici que nous sommes, en vue des flèches du clocher. Partis de Notre-Dame, sous la galerie des Rois où veillent les statues, j’ai le long du trajet, ressassé les « temps de l’Ecclésiaste : chapitre 3, verset 2 à 8 »

…Il y a un temps pour tout, un temps pour toutes choses sous les cieux. Un temps pour… »Une manière symbolique de donner corps à mes pulsions, de baliser ma folie intermittente et de jauger ce jeune séminariste qui inquiet, avait tout de suite chiffonné le papier de mon énigme non résolu, en souriant. (Une plaisanterie de gamins, n’y prêtons guère attention et prions maintenant, voulez-vous…) 
Prions, oui. Pour le salut de votre âme. Pour l’opus 28 de Chopin. Prions mon père, pour l’Avent et les constellations chinoises. Pour tous ces mystères qui vous condamnent. Prions pour les changements de lune et le mois de février purificateur. Et priez pour notre vieillard crédule, renvoyé aux calendes grecques, mort de sa belle mort. Ce géronte de Sparte, élu local et maire influent, tombé accidentellement du pont des Minimes. N’est-il pas dit que Dieu juge ainsi les justes et les méchants ? Aujourd’hui, nous fêtons les romains. Et quoi de mieux que l’hiver pour tuer les miasmes de votre existence d’ascète. Et que retenir de vos marmonnements secrets ?
A la première halte, je lui donne ma gourde. Calice de douleur où la patène de mes doigts couvre ses lèvres déjà molles. Depuis la forêt de Rambouillet, je lui récite l’acte des apôtres, énumérant chaque matière avec un sang froid méthodique. Je l’observe qui hoche la tête. Sans doute se souvient-il de son sacerdoce pas si lointain où étudiant religieux, il travaillait encore sur les occurrences…

texte Jonavin

vendredi 2 juillet 2021

Un nombre parfait




 Le prêtre Armand Morel a un vieil accent lorrain. De profil, je peux lire l’alphabet de Dieu dans les voyelles de sa voix sonnante. Comme une peau moite, elle transpire puis s’essouffle à mots espacés. Dans l’écho des brodequins ferrés, tintent les tiraillements douloureux de son pas claudicant. D’une haleine, voilà qu’il rabâche en bon perroquet, les pèlerinages de Pentecôte et l’itinéraire de cette route régionale emprunté autrefois par Charles Péguy. Je l’écoute réciter un passage de la crucifixion, calquant mon allure à sa démarche engourdie. A perte de vue, l’ombre de mon bâton gangrène la terre humide. Les champs de blés verts habités de vent. Et le ciel, qui arrosé de gouttes froides colle aux chemises. C’est un vent d’orage. Un vent boiteux qui trébuche sur la lecture du prêtre dans ses images d’Epinal.

Sac à dos, une demi-douzaine de famille déambule le long des fossés. Contre les rafales, quelques scouts ci-et-là, brandissent mollement leurs bannières multicolores. D’autres encore, égrènent leur chapelet, tête basse, jambes lourdes, n’évitant plus les flaques qui désormais, reflètent l’image d’un cortège désuni.
Du macadam goudronné monte une odeur de mort lente. Dans le faisceau de plusieurs lampes torches, le ciel semble à peine éclairé.
L’aumônier s’arrête pour reprendre haleine. A cet endroit, le sol est caillouteux avec un chemin tissé de ronces jusqu' à la borne. Il écoute battre son cœur fatigué par l’effort. Je l’observe prendre appui sur sa badine. Un obèse du nom de Gaillac manque à l’appel, ce qui porte à six maintenant, le nombre de fugitifs ou de disparus depuis la veillée de prière.
L’averse torrentielle de cette nuit a trempé les sacs de couchage. Et peut-être anéanti le courage des plus fervents à combattre les doutes autour du bivouac. Dans ma besace, un jeu de dominos et une édition de poche du roman " Robinson Crusoé " ne sont qu’un alibi. Comme l’arsenic versé à petites doses dans son café brûlant.
Le père Morel n’a pas revêtu son costume ecclésiastique. Pas de longue robe boutonnée très haut ni de chapeau à glands comme le curé d’Ars dans " le sorcier du ciel ". Juste un pull à col roulé vert pomme. De son front large, un bonnet noir et quelques cheveux fillasse lui prête la crinière épaisse du bison. Longtemps, j’ai cherché dans ce visage poupin, une figure vieillie, amère, détestable. Mais je n’ai vu qu’un visage en pleine lune. Bouddha méditant sous son figuier. Et la coiffe en plumes d’aigle d’un chaman Arapaho. Comme la beauté du diable encorné pendant la danse du soleil, un totem dans un face-à-face spirituel entre la bête et le danseur. Je n’ai vu que mes crimes, fautivement quantifiables, atroces, calculés, prémédités.

texte Jonavin

jeudi 17 juin 2021

Restaurant brasserie Fouquet's


  

D'après le menu, 120 euros/pers. service compris. Ce lieu tant critiqué n'est pas le plus beau resto de Paris mais j'aimerai m'asseoir confortablement sur cette terrasse, j'ai toujours aimé le face à face spirituel où le féminin, masculin se mélange dans la séduction dont les regards persistants bercent les émotions fraîches dans la temporalité.

                        Le menu est simple, épuré pas de noms à la gomme, à rallonge.
                        Le chic parisien à portée de main.. Attention, parfois (être sous le charme d'une femme vénusienne) peut nous amener à commander une bouteille de Dom Pérignon. ici le champagne monte vite à 850 euros, tout de même la température sera de 5 à 7 ° Celsius et le garçon vous apportera la carte.

                        Voici, le déroulé. Je suis un gars de banlieue, avec moi tout est compris.

Apéritif 
Coupe de Champagne

***
Entrées
Carpaccio de Saint-Jacques,
 
Marinière de légumes parfumée à la citronnelle
ou
Pressé de légumes
ou
Marbré de foie gras de canard
 
Jean -Loup Dabadie
ou
Douze escargots de Bourgogne
 
à la persillade

***
Plats
Noix de Saint-Jacques françaises,
 
Risotto aux courgettes, écume de parmesan
ou
Merlan Colbert, pomme au four
 
à la persillade, sauce tartare
ou
Daurade royale marinée aux herbes Crest,
Bohémienne de légumes, cannelloni de caponata
ou
Médaillon de veau grillé,
 
Céleri pomme navet Daikon,
 
Champignons sautés au jus
ou
Demi- volaille rôtie
aux herbes de Provence,
jus perlé

***
Desserts 
Chariot de pâtisseries maison

***
Vins
(½ bouteille par personne)
En accord parfait
Selon conseil

***
Eaux minérales
(½ bouteille par personne)

***
Café Gold Selection
Mignardises

mercredi 16 juin 2021

Zepellin

 Le jardin s' est refroidi aux cosses de l' hiver. Parfois sourd une lueur qui vient pomper la terre avec des nuées d'averse. Elle creuse l'ombrage des fruitiers, brûlant d'un reflet rageur le trop plein des côteaux.

Les deux mains sur le manche, Herman plante sa fourche. Tout en rallumant son mégot, il suit du regard les ombres fumantes descendre sur la ferme, cent mètres plus bas. Soudain surgit son porche avec un escalier à jour central ouvrant sur une courette.
La toiture à larges débords mange la façade et force quelques tuiles à disparaître sous les encoignures. Comme celles mauvaises de l'étable où le vieux distingue le lustre des sonnailles derrière une étroite lucarne. Mais au détour, rien n'éclaire autant que le jasmin, palissé le long du mur dont les rameaux attisent encore de leur floraison dorée les recoins les plus sombres. Il aime cette lumière jaune givrée. Comme celle de son jardin avec l'éclat des baies lumineuses de l'argousier.
De son feuillage aciéré comme la toile d'un dirigeable, l'arbrisseau lui rappelle alors ses années de pilote dans la marine impériale.
Déjà une heure qu' ils ont grimpé le talus pour semer les annuelles. Frantz l'accompagne dans le clos de rocaille où poussent les cornouillers. Juste parce que les branches représentent l'armature sanguine d'une guerre qui n'en finit pas de vieillir. Perplexe, le vieux fait rouler son mégot d' une lèvre à l'autre. C' est vrai que cette guerre-là voit passer bien trop d' hivers. Pour preuve, les nazis ont déjà ferraillés le graf depuis deux ans.
Il laisse flotter son mécontentement sur les fougères d'un parterre boisé.
Ici et là, la clôture goutte des moignons d'eau. Dans les fossés, près du muret, aux endroits où la neige résiste. Le sel répandu a déjà rogné la glace. Mais les pluies qui tombent à seaux depuis une semaine ont inondées les prairies d'alpage en nids d'écume. Comme des rinçures de tonneaux que le ciel lape à grands coups de langue ricane le grand-père. De la brune aux aurores, les nuages ont trempé la nuit au maillechort. Et les éclats de gris, coulés tant de miroirs sur la crémaillère qu'elle scintille ici comme une lame d'argent.

(texte Jonavin)

lundi 14 juin 2021

Collioure


 

Si Henri Matisse, un beau matin, avait chevauché des notes au galop sur le sillet d'un ciel fougueux. Si bleu...

Je n'avais pas fermé tous les volets de ma chambre ni les couleurs de la méditerranée.
De ces vignes étagées comme une robe gitane dont le décor m'offrait le spectacle.
Mon regard ne plongerait pas dans le vertige de la mer bleue.
Je savais que ce rosé de décembre chaufferait doucement ma bouche.
Dès les premières gorgées, les épices douces m'apporteraient les notes poivrées.
Le grenache amplifiant les parfums de fruits mûrs, cassis, framboise , la syrah contrebalançant l'équilibre pour partir dans le rouge léger, flamboyant.
Paupières mi-closes. J'écoutais " La tsigane s'enivrait de la fraîcheur du vent chaud.
Avant de sentir la groseille sauvage s'écraser légèrement sous ma langue.
Mon coeur soufflant de solitude, j'avais réveillé l'éclosion envoûtante de ma bohème.
Bien que le vent du nord m'enroulât dans les ruelles teintées d'ocre et de rose.
Dans la perception aromatique intense, j'entendais encore le cliquetis de ses bracelets fins...
 

dimanche 30 mai 2021

L'aube aux trousses

 





Avec l'aube à tes trousses, la silhouette s'estompe. Comme autant de gommages que le temps efface.
D'abord sur une colère sanguine. Pour mettre du rouge aux joues et dépeindre ton embarras, là, sur ce trottoir où le sublimé a rejoint le vulgaire. Mais dans l'immobilité des choses, reprendre des couleurs te semble superflu. Pas la moindre touche ce soir, sinon le sang d'un gloss épais. Tu te mords les lèvres. Sous un néon, tu fardes les paupières d'une nuit démaquillée. Certaine qu'elle ne peut traîner son dernier quart-d 'heure sur de simples talons aiguilles.
Ton vanity n'est qu'une salle de bain d'hôtel. Tu remets donc un peu de noir à tes yeux. Comme un deuil, capable d'édenter la bouche folle des regards.
Prendre un tub aux aquarelles. Quand la défaillance des petits carreaux raccommode tout ce qui coule. Quand le miroir te renvoie à la rue. Vieux tableau, as-tu besoin de masquer tes doutes? De fondre en larmes par ces eaux fortes qui, sous l'ombre des cernes bleutées, tirent encore un trait sur ton passé? Effacés, la grisaille et le rimmel sur l'oreiller. Tout ça n'est que poudre aux yeux. Cette vie à coup de bâton ne t'a pas vernie, certes, mais il fallait bien te défendre bec et ongles! Même si aujourd'hui, tu as le crayon facile, paraître moins belle ne maquille pas chez toi, d'autres vérités. Ce n'est sans doute pas la crème dans la beauté fragile des sentiments; ni la houppe de tes cheveux en désordre qui feront de toi un modèle. Mais qu'importe! Pour retenir tes amants, il te reste un peu de khôl. Un sursaut de dégoût pour ces maroufles qui te jugent pot de peinture et te méprisent dans le pinceau de leurs fards. Tu voulais vivre une vie d'artiste sur la toile. Avec une palette riche pour étaler la lumière de tes jolis yeux. L'amour en trompe-l'œil en a décidé autrement.
Même si hier je te préférais nature, celle-ci semble morte à présent. Tu prends la pause que le temps achève d'égarer. Une corbeille, quelques fruits. Une robe légère qui tournoie dans la fraîcheur de tes vingt ans. Et au pastel de tes doigts, reste un fond de teint où la mascarade vient brosser un portrait peu flatteur. Quand le matin qui veloute encore un peu de nuit, donne à tes pas la grâce d'une vie éternelle...

(texte Jonavin)

lundi 3 mai 2021

Candy box

 




Dans l’étoupe des trottoirs, mes cheveux filasse essuient quelques rires visqueux. Effluent urbain charriant ses peurs usées. La foule passe. Indifférente.
Lentement, je remonte la route d’Aubuisson. Des murs cachou et mangés de rouille ont déjà grignoté le feu de l’aube. Comme atomisés par des essences de menthe anglaise, ils abandonnent leurs écorchures à des dragées de plomb.

Après avoir emprunté le boulevard, au sortir d’un immeuble en chantier, je souffle un peu.
Le ciel est à l’orage. Juste en face, un rouleau compresseur des travaux publics étale sa poudre d’Antésite. Aux commandes, Négus, hilare me jette un sourire de fer–blanc. Celui-là comme moi, semble s’amuser des sucettes parapluies de certains badauds. Soudain il explose de rire, Blackoïds Brown expectorant un noir d’ivoire à sa veste jaune acidulé. Son rire goudronneux me fait du bien.

Quartier Saint-Aubin, je me souviens avoir longé sur une centaine de mètres, la rue de la Colombette, aspirant le Hall aux Grains avec des Coco Boer achetés la veille au Paradis Gourmand.



Ce matin, étrangement, la Garonne s’est endormie dans un sirop de badiane. D’ici, je peux respirer ses liqueurs anisées tandis que je m’attarde devant la vitrine éclairée d’une épicière en blouse de vichy. Pensif, je me demande s’il lui reste des Magistra  Florent, quelques grises au goût amer ou encore des bergamotes rafraîchissantes d’avant-guerre. Sans doute pas.

Mais le gling, de sa porte qu’on ouvre, me rappelle, enfant, l’étalage des bocaux et la vente des bonbons au détail. C’est plein d’amertume que je m’éloigne de la boutique.
Dès la première rafale, j’entends l’appel du large. Dans le coquillage des roudoudous et leur voile de cellophane où tempêtent des caramels au beurre salé. Dans les cordages de sucre candi aux mâts de Twisty Pop frottés à la brique du centre-ville. Je presse le pas. Pour fuir cette foule de guimauve, encapuchonnée de berlingots tristes. Il pleut maintenant à grosses gouttes. Je ramasse les flaques sous mes semelles, ravi de mettre un soleil en boîte.

Je tâtonne mon gousset afin de m’assurer que le mien est toujours là. Il fut un temps pas si lointain où Bout de Zan mâchouillait aussi sa réglisse sur le bitume. J’y pense parfois comme ces grains de café au parfum de violette. A ces bâtons, en place d’une vieille palissade où le bois est mordillé du bout des lèvres.  Je garde en mémoire les pastillages parfumés d’Uzès. Ils jaunissaient les dents, effaçant d’un trait de gomme l’enclume du cœur et donnaient à la rue, une humeur joyeuse. Je n’ai pas trouvé les Bienfaits de Lajeunie rue d’Aubuisson. Ni les cachous goût blond, avenue de Larrieu.
Qu’importe, ce soir je prends le train pour Flavigny.
Je me retourne, le visage ruisselant. Au loin, Négus a déjà fondu avec un petit signe de la main…

(texte Jonavin)

jeudi 29 avril 2021

lundi 26 avril 2021

moi vouloir toi



 Je déteste l'autoroute même si je pouvais te rejoindre.

 IL y a bien longtemps que je t'aime.

Depuis, je m'habitue aux courants d'air, au silence de tes yeux.

J'aimerai tellement suivre le cours des choses, oublier la raison qui m'empêche d'oser.

Et pourtant, chaque jour, chaque nuit,  mes pensées s'envolent vers ton cœur.

Comme les mots de la chanson de Françoise Hardy.

"Moi vouloir toi de haut en bas, de bas en haut sans bas ni haut sans haut ni bas".

L'équilibre, pour vivre et rêver avec toi.

Oui, je pourrai te rejoindre.


jeudi 22 avril 2021

De tes propres ailes





 Ton ménage semble ne jamais finir tant le ciel azuré est immense. Qu'il pleuve à seaux et tu bats les tapis de tes ailes comme on époussette des moutons d'écume. Dans ces moments là, il plume un frisson d'orage que tes cerceaux roulent en javelle. Dans ton duvet, juste la nuit. Un brocart à ramages cousu de lune. Un vent en chiffon. Et la rosée, qui parfois trempe à nu ta livrée de misère sur le toit du monde.

Tu n'as rien d'un oiseau domestique. Même si tu t'essores depuis un trentième étage. Tu inventes la lessive d'un bateau-lavoir, blanchisseuse sur une corde à linge savonnant les gros nuages noirs. Acrobate, tu voles en palier dans les draperies d'un monde si sale qu'il te faut le briquer à genoux. Nettoyer ses fumées de suie, crachats d'ombres pelucheuses qui filent sous la brosse. Tant de rêves à polir les cuivres d'un soleil déjà mort, tant d'amidon pour les cols de tes pensionnaires, nourris, logés, blanchis, qu'ils ont perdus tout amour-propre. Ceux qui te réduisent en poussière, tu le sais bien, n'ont pas le moindre éclat dans le regard.
De pylône en pylône. De tour en tour, ils construisent des cages étroites. Des épinettes où l'on trousse la volaille. Des nichoirs pour couver les oiseaux de basse-cour. Et des clapiers pour les cadavres d'enfants.
A la tombée de la nuit, toi tu lessives à la cendre de bois. Quand les ombres bouillies infusent sous le feu des étoiles. Ici, quelques cristaux de soude. Là, un peu de bleu de méthylène fondu dans la bassine d'un ciel rincé. Et soudain, c'est la nuit claire d'un monde qui respire les saisons. Alors, tu cherches dans l'échappée, d'autres flots, une embellie qui viendrait frisotter la seiche du vent sur laquelle tu aimes t'endormir. Dans ces buées où la brume n'est que vapeur, tu frottes, lavandière des dortoirs, tout comme la sentinelle, qui de son vol ondulé, ruse avec le savon. Tu frottes les salissures, l'âme crasseuse de ceux qui ont oubliés de pleurer. De ceux qui ne peuvent laver leurs yeux.
Demain, fenêtre ouverte, tu abandonneras la volière et ses grillages. Et de tes propres ailes, le ciel n'aura jamais été aussi beau...

(texte jonavin)


lundi 19 avril 2021

vendredi 16 avril 2021

(suite) Bouts de Laine

 


Oui, j'ai longtemps pleuré. Mais t'en fais pas, petite fée, je suis toujours le même. J'ai toujours ma barbe en poils de chèvre qui gratte et la crinière filasse d'un pâtre grec. Il n'y a que l'hiver pour tondre les arbres de la rue Sommeiller. Ou le vent pour fagoter les bourres de bois mort qui me saignent encore le crâne.
Si la montagne est belle, il me vient pourtant des envies de transhumance. Là, tout de suite. Tombeau d'un gros lainage sur une robe d'été. Mais je n'abandonnerai pas l'agneline à ses linceuls de neige. Ni ton sourire aux corbeaux moqueurs, même si le froid perdure jusqu'en avril. Devant la mercerie Seguin, j'ai pensé aux bobinettes soigneusement rangées dans ton coffre à trésors. A ces bouts de rien, patchworks divers qui chassaient parfois l'astrakan de nos voyages immobiles. T'en souviens-tu, ma fée?
Hilare, je t'imagine piquer les fesses de ce vieux bouc avec un acier argenté numéro 7. Dans la vitrine, c'est toujours un patron collectionneur de filatures douteuses. Le roi du tricotin et des caches couture, laid et malhonnête. Je ne l'ai pas vu à ton enterrement. Ni lui, ni son jacquard d'ailleurs. D'une pichenette, je réajuste mon béret. Monsieur Seguin a baissé son rideau. La vie continue, sans crèche ni enfants et c'est très bien comme ça.
Peut-on délainer l'usure d'une peau, si vieille qu'elle bêle aux larmes? Dessine-moi un mouton. Cette montgolfière, qui dans le ciel de Chambéry, se pelotonne contre les montagnes. Donne-moi la force de grimper les fils d'Ecosse. Et de ma voix chevrotante, je te raconterai  alors l'histoire des laines australes. Celles de la soie de Saris et des chameaux du Cachemire quand la nuit, je me réchauffais à tes simples rubans. Je t'inventerai l'Angora Turque et le coton d'Egypte. Ces laines peintes sur le corps des népalaises, les cache-cols de l'Himalaya, les ponchos andins, les cavaliers mongols aux culottes épaisses. Toute une vie tumultueuse et impatiente sur un métier à fleurs! Tu vois, rien n'a changé. Près de la fenêtre, doigtier tendu, tu as la grimace douloureuse. Ce mouvement des lèvres, imperceptible, qui me remuait souvent le cœur. Soudain, la montgolfière prend de l'altitude. Le ciel explose avec les épingles macramé d'un monde qui souffre. Je me tiens éveillé, l'oreille tendue vers une autre nuit de grand gel.
Tu ne te réveilles pas...

(texte Jonavin)

jeudi 15 avril 2021

Bouts de laine

 



Que dire des bouts de laine? Quand la vie s'éparpille et que tout s'emmêle...

Il reste aux dimanches des pelotes qui rusent sous le sofa. Un vieux pull-over. Et les aiguilles qui n'ont plus le temps. Dehors, quelques flocons. Un hiver qui feutre l'écho de la rue. Depuis des lustres, sa percale joue les doublures, arrachant aux arbres décousus, des bribes de solitude. Et c'est déjà demain, petite fée. Déjà demain.
Je me suis assoupi. La machine à coudre ronronne comme autrefois. Peux-tu l'entendre, blottie dans ton chagrin à peine fané? Regarde, il neige enfin.
Dans l'œil du chat, ces heures aux reprises assez grossières. L'ennui, roulé en boule sous des coussins moelleux. D'un plaid usé, je caresse la laine ortie, piquée aux souvenirs de tes doigts invisibles. Bleu hollandais. Du même bleu que ce bonnet lutin, en mohair, dont le pompon chiffonnait parfois celui de tes yeux mousses. Pendant les alpages, l'étole et les mitaines réchauffaient nos mains glacées. Ici, le froid grignote les os, même sous une couverture. Tu me manques, petite fée. Comme le clou à crochet où pendouille cette robe un peu rêche. Héritage de ma vieillesse et de mes tourments. A la cérémonie, je n'ai rien dit. Et puis à l'église, les langues sont comme les tapis, trop souvent mécheuses. Mais à la longue, on s'habitue aux courants d'air. A l'inutile.
Je me lève péniblement.
Par la fenêtre, la brume s'effiloche sur les rares passants. Ombres muettes vêtues chaudement de nuit et de silence tricotés. C'est un matin lâche, sans sou ni maille. Un matin qui file. En faillite, peigné aux odeurs du vent. Décembre sans toi, n'a plus de cheminée. Hier, Noël a oublié de frapper à ma porte, les enfants aussi. J'ai allumé une bougie près du sapin, emmitouflé de sommeil et de douleurs. Deux semaines que tu n'es plus là. Deux semaines que je débrouille sans trêve, l'écheveau de ma mémoire et c'est mon plus beau cadeau.
Dans ma chaussette suspendue, rien.
Pour ce bas de laine, toute une vie d'économies et de souffrances! Un châle sur tes épaules nues. Et cette toison fabuleuse, comme un manteau d'agneau que d'autres fourrures viendront bientôt dévorer.  Là où dorment les vieillards chevelus, n'y a-t-il donc que laideur, ma fée?
Au cimetière, j'ai arrosé les fleurs...
Et j'ai longtemps pleuré.

(texte Jonavin)

samedi 10 avril 2021

L'homme aux semelles de vent

 

..."Je suis devenu un squelette: je fais peur"...Tu penses écrire l'aveu à Isabelle dès ton arrivée à Aden. Pour oublier la douleur insupportable qui te ronge le genou. Chaque cahotement de la civière, avec la tumeur qui te grignote de l'intérieur. Pour oublier le supplice des rétractions du nerf pétrifiant le gonflement des veines. Epuisé, ton dos à vif marque l'empreinte d'une autre plaie. Hier, tu es monté à mulet, la jambe attachée au cou. Mais frappé de fièvre, geignard, tu l'a senti si raide, en équerre contre son flanc trempé, que les sabots t'ont cloué le ventre. Désormais, tu ne quittes plus la litière. Ton corps entier n'est que meurtrissure où chaque caillou, sous le pas des nègres porteurs, atrophie davantage ton muscle poplité. Déjà la civière se disloque; pendue aux lourds bagages des chameaux, à cette caravane qui s'étiole de l'arrière, affaiblie et lointaine, perdue depuis des heures dans l'océan effaré de cette nuit diluvienne. Comme un abcès, les ombres baignent une lumière liquide. Au milieu du désert, le vent furieux, semblable à celui des montagnes ardennaises, rabote l'escarpe d'un manteau de lave. Halte à Wordji, quatrième jour, et l'orage suppure des engoulevents. Tu tombes de sommeil.

Pourtant, tu les connais ces étendues déraisonnables, de l'Ogaden à la mer Rouge, d'Ankober au Choa avec le négoce des peaux, des armes ou de l'ivoire. Trafiquant, exploreur, bâtisseur, contrebandier, le désert est un océan de rêves enfouis où la gloire paraît inaccessible. Tu y songes, sous une pluie battante. Couché sur le côté, ruisselant, la rotule malade parallèle à la caisse sur laquelle tu t'es adossé. Grelottant sous cette peau abyssine, le cuir étreint tes chairs ramollies. Te voilà roi. Mais à cet instant, ton regard bleu se souvient de Djami, de Miriam. Des jardins d'Harar ombragés de vignes. Des ruelles mauresques aux échoppes hantées par les hyènes, derrière la factorerie des frères Bardey. Et de ces relents de moka dans la cour, pesés en pièces d'or sur des balances de fer brûlé. Vision intacte: tu rentres au vrai royaume des enfants de Cham. Sans mère, sans pays, dans ce lieu hostile où l'aube ensanglantée ressemble aux poètes maudits.
Marcheur infatigable, tu as fui l'ennui. Les rinçures d'une jeunesse absurde, Verlaine, les saisons en enfer. Mais pourquoi garder dans une sacoche de cuir à soufflets cette lettre qui t'informe de la publication des illuminations? Elle n'est que désordre dans tes archives, tes mots, tes photographies de toutes sortes et le guide de l'aventurier commandé chez le libraire Lacroix. Une infirmité supplémentaire, un regard sur le passé. Ou peut-être  un doute, sur la rupture de ton apparence de poète. Pourtant tu n'as jamais cessé d'écrire. Combien de lettres ont saigné ton émotivité, façonné l'homme africain que tu es devenu dans la prose latente du voyageur? Ces traces là n'ont pas d'éternité.
Un moment, tu penses à la gomme distillée d'oliban qui en huile essentielle ou en massage sur ton articulation apaise la souffrance. A ta maison de bois où d'un lit en terrasse, tu as expédié les affaires courantes avec César Tian. Aux quinze thalers que tu donnes pour chacun des porteurs qui te hissent à hauteur d'homme jusqu'au port de Zeilah. A l'aube qui s'éparpille. L'air devient irrespirable. Comme une haleine fétide écartelant chacune de tes respirations. Tentacules goinfrées d'arsenic venues manger le chancre des incisions malsaines, l'ancienne syphilis n'a pas épargné ton corps malingre. Tu souffres de la peau. Une peau qui n'a plus d'âge, vieillie, cuite par les brûlures et les cailloux. Les rides affolent une barbe couleur fauve. Tu n'es plus certain de ton ahurissement. De ces léthargies  où le moindre mouvement devient torture. Parce que rien n'est pire que le pourrissement du temps. Quand l'ennui suppose qu'il flotte tout contre ta jambe dont les varices mutilent en vain les bandages inutiles.
Tu fixes un point à l'horizon. Dans l'attente des chameaux, tu penses que le poète est un voleur d'ennui...

(texte Jonavin)


jeudi 25 mars 2021

Les lieux de rencontre

 La notion de choix dans la recherche d'un conjoint est assez récente. Elle naît au 19ème siècle pour certains avec l'apparition d'une forme de littérature romantique diffusant des idées nouvelles d'amour et de sentiments.

Qui ne se souvient pas de "L'éducation sentimentale" de Gustave Flaubert, étudié au collège sous l'enthousiasme d'une prof de français. (Il faut que je retrouve ce passage. Il a 17 ans, il frôle Marie sur le bateau de la Seine).

Sous l'ancien régime. Le choix était lié aux biens, à la dot, au nom et même à la propriété de la terre. Le mariage jouait un rôle essentiel en regard de la reproduction de la société dans ces structures et en particulier pour assurer la stabilité des hiérarchies des pouvoirs et des fortunes.
Pour les sociologues, ce régime démographique se caractérisait par le fait qu'il était subi : "La vie ne cessait d' être précaire ; on acceptait les enfants que le ciel envoyait". On se mariait suivant la coutume. Tout n'était pas dit à la naissance, mais peu d'événement jusqu'à la mort, relevaient d'une décision.
Les temps ont changé et on n' échange plus aujourd'hui des biens ni des noms mais des sentiments.
"Coup de foudre", âme sœur, rencontre magique. C'est le hasard qui fait la rencontre, le destin. C'est en tout cas l'impression populaire.
Sous l'apparence d'une liberté nouvelle et totale.
L' homogamie existe, prédomine mais se transforme : au final, le niveau social et culturel reste une composante déterminante dans le choix d'un potentiel conjoint. Bien évidemment, on n'aborde pas l'autre dans l'intention consciente d'identifier ces critères.
Les combinaisons possibles entre les individus désacralisent le rôle de hasard et de la coïncidence.
Les individus s'unissent de préférence avec leur égaux sur l'échelle des classes sociales. Cette tendance vaut pour tous les niveaux sociaux.
Certaines trajectoires ne se croisent jamais, les semblables ou du moins ceux qui partagent une même culture de groupe s'assemblent plus fréquemment.
Bien plus pervers, le choix est biaisé par les différentes formes de socialisation et de sociabilité auxquelles participent les acteurs. Elles jouent le rôle de filtres endiguant le champ des possibilités à portée de chaque individu.
Ce qui les conduisent vers le destin sentimental pour reprendre le slogan
"N'importe qui de même n'importe qui ne se rencontre pas n'importe où"

Avec ce triangle :
- Lieux publics
- Lieux réservés
- Lieux fermés

(Il est là le petit passage de Flaubert)

Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda...
Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l'ovale de sa figure...
Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manoeuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière.
Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier a ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu'elle avaient portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession physique disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limite.
Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être...
Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans! Mais entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber : Frédéric fit un bond et le rattrapa.
Elle lui dit :
- "Je vous remercie, monsieur"
Leurs yeux se rencontrèrent

Existerait-il donc bien un fort déterminisme social régissant les unions entre les individus?

lundi 22 mars 2021

Le vent

 


Ce soir, il est déjà tard.

Tout le dortoir est endormi, moi je tourne et retourne dans mon lit.
Le vent souffle très fort et je ne peux dormir.
Il ébranle les sapins, fait tournoyer les feuilles tombées à terre.
Alors me dressant sur mon lit, je lui murmure tout bas.
Allons ce n'est pas gentil de laisser dormir les petits enfants.
Oui je sais, je comprends ta misère et ton dénuement.
Mais cela, ne sert à rien, sois gentil.
Après ces bonnes paroles, je n'entendis plus rien.
Le vent s'est recueilli, je l'entends qui calmement marche dans les feuilles.
Maintenant je vais pouvoir dormir, je sens que mes paupières vont bientôt se fermer.
Que de jolis rêves vont s'épanouir et que moi et le vent auront été contents.

(Préventorium de Chassignol  - Puy de Dôme)  poème composé par ma mère à l'âge de 14 ans.

mardi 16 mars 2021

Escale à Papeete

 Papeete :

Une arrivée à Tahiti qui ne sera jamais inoubliable...Un ciel tahitien qui pleurait mais que le soleil omni-présent consolait vite. Papeete alignait devant nous ses plus beaux chalets, ses plus beaux bungalows et toute la population du sexe féminin qui attendait sur le quai avec leurs robes éclatantes et leurs jolis parapluies jaunes avec des colliers de fleurs encore une fois jaunes - (le jaune est toujours à la mode à Tahiti).
Tahiti, pays plein de charme. Le vrai paradis perdu. J'ai été ébloui et je n'exagère vraiment pas.
Ses belles montagnes. Au sommet de 2300 m avec ses brousses, une verdure luxuriante et incroyable, ses longs cocotiers qui se balancent que par leur grandeur, des arbres fruitiers partout, les magnifiques bananiers et les belles pamplemousses.
Ses belles plages avec leurs eaux chaudes de la mer et derrière les forêts avec des sources à eau naturelle et douce.
J'ai passé aujourd'hui une journée exceptionnelle dans la brousse. Evidemment je vous relate en gros, je ne pourrais jamais tout vous dire. Nous avons goûté à tous les fruits, bu le lait de coco. Nous avons frayé des passages à l'aide d'un coupe-coupe.
Des oiseaux par milliers, des verts, des violets, des jaunes nous souhaitaient la bienvenue. Nous avons été reçu dans des casemates indigènes de la tribu des roûroûrs (prononcez et faites rouler les r c'est le langage de Tahiti).
Ils nous ont donné de l'eau fraîche et ont été très gentils. Ils ont fait un chant en notre honneur, un chant sauvage qui a raisonné dans la brousse et dans la montagne. Et un tam-tam sonore qui s'est répandu très bien.
Tahiti vit dans la douceur, le calme quand le soir est tombé et les gens retirés dans leurs cases au toit de feuilles de cocotiers ou dans leurs chalets.
Dans la ville, autant d'allées et venues la nuit où partout les guitares bercent le bonheur, le rêve de ce paradis avec les plus belles filles du monde qui entonnent les airs combien charmants du Pacifique.
"Je chante ta romance dans le ciel immense". Puis ce sont des danses trépidantes, sauvages où tout le corps remue, vous rencontrez pas mal de femmes saouls où elles ont absorbé trop de whisky-doubles et dansent ce qu'on appelle ici le "tabouret" et toute la nuit dans le ciel étoilé les complaintes agréables et charmantes montent, montent dans leur ciel tahitien le plus beau ciel du monde.
Vie d'insouciance où les indigènes ne vivent qu'avec leurs guitares et les grands magasins sont tenus par les chinois et des chinois il y en a à Papeete.
Une pointe d'orgueil monte quand même aux français quand on voit notre magnifique drapeau tricolore bien haut qui flotte dans toute sa gloire et c'est pour nous quand même de posséder une île si magnifique. Un prestige qui n'est pas à dédaigner.

- extrait d'une correspondance de mon père, jeune militaire adressé à mes grands-parents qui découvrait Tahiti.
(Joyeux anniversaire Papa)

vendredi 5 mars 2021

Au fond du regard

Le regard semble profond. C'est un trou de mémoire où stagnent les éclaboussures d'une mère morte. Quand la douleur est vague, mon amour, elle n' emporte rien. Elle coule.



Cette nuit pourtant, un brise-larme se perd dans le canal. 
J'entends son cor de brume sangloter un rire houleux. Et ton ombre au passage, qui ruisselle aux dernières cataractes, ne peut le secourir. 
De ce rire cristallin, résonne la plainte du puits perdu. Je l'entends, avec une âme qui grouille et des soupirs dans leurs bottes d'égoutier. 
Sous le battement de la pluie et des paupières, j'entends clapoter le collyre contre les grilles. 
Cette nuit, je te vois la peau nue, molle, humide. Mais peut-être que je ne sais pas voir, mon amour. Peut-être que cette douleur-là a simplement la cornée des sentiments rudes. Comme la tempête du soupirail. Comme le chagrin qui dessille à vivre dans les larmes. Hoquet, la souffrance, disais-tu. Autour du globe, les pupilles sont devenus mousses par usure. 
A l'orphelinat, combien sont allés cueillir les prunelles au fond du jardin? Combien, énucléés explosent de joie dans la poudre d'iris?
Soudain, l'océan a quelque chose de sinistre. Il écume et fait jaillir ta colère. A ta respiration cutanée, je devine une lente métamorphose. En orbite sur des brisants épars.
Parfois, j'aime m'attarder sur la lentille rousse de ton front. J'y vois une île de beauté. 
De cette mère jamais létale, souffle la bise. C'est une baie vitrée. La transparence, d'un monde vu de loin. Là-bas, je me noie dans la liqueur de tes yeux. Si l'alcool rétrécit les pupilles, il allume aussi l'éclat du ciel. Ces voiles immenses qui entraînent la fange des caniveaux. Tu as toujours ces mots qui font rire le silence, comme les "cabines d' uvée" ou " la cour borgne des miracles". Ces mots échardes, éclairés, te donnent la juste lumière. Alors, cette nuit, je te suis les yeux fermés, mon amour. Il me suffit juste de lorgner ton île, d'essuyer un grain. Et d'apprendre les marées au fond du regard... 

(texte Jonavin)

lundi 1 mars 2021

Au bord - elle

 



Au bord - d'elle 
il y a des envies de lui 
des chiffons de soie
Une drôle de touche
quand la lune se couche sur un vieux sofa
Paupières mi - closes elle jette une rose à la fille de joie 
qui tue les alcôves quand la nuit se sauve par - dessus les toits 

elle suit les coutures d'une plaie artificielle

d'une plaie qui suppure les contours du sommeil 

du même bord, la nuit s'endort et la nuit s' éveille

elle change le décor et l'ennui des corps sans besoin d' être belle au bord - d 'elle... 

il y a des envies de lui... 

des chiffons de soie 

une fenêtre borgne 

le temps qui se cogne autour de ses bras

La douille d'une cartouche comme une bête farouche qui la montre du doigt et des chrysanthèmes un dimanche de carême dans ce grand lit froid 

Les bouquets se fanent quand l'amour les condamne à vivre hors - la - loi

Un matin qui fait mouche un baiser sur la bouche et la nuit s'en va

Une vie de bohême c'est une vie sans diadème mais une vie de roi qui tue les alcôves le rouge et le mauve et les grands yeux lilas. 

(Au bord - d'elle - Jonavin)

jeudi 25 février 2021

Marionnette



 Dégommer une vieille boite de conserve. Un chamboule tout. Tu mets ton poing dans mon gros orteil pour inventer cet air ahuri, ventriloquer des minauderies de petit garçon à qui on aurait chapardé des sacs de billes. Mais je reste de bois, Pinocchio au pays des jouets et des mensonges.

Casse-toi ! Oh le vilain brise cœur que voilà. C’est moche d’amocher, ce                            s en somme, pour peu que tu saches me donner la bonne mimique. Mais ça tu ne l’as jamais su. Pourtant l’effort est louable. Et puis il y a cette notion de rompre, mettre fin, révoquer ce qui palpite encore…Je compte sur tes grimaces pour toucher l’abîme.
Eparpiller les morceaux. Ridiculiser l’instant.
Alors, je vais où, dis ? Au casse- gueule, au casse -pipes ? Je me casse le nez à ta porte ? Ok dix minutes à tout casser et je ne serai plus là. A rester dans tes jambes, tu monopolises la mienne et je te vois mal, manchote à dix doigts, rafistoler un pantin désarticulé. Un clown un peu bègue. Un cancre amoureux. Mais je t’entends le dire encore : tout passe tout lasse tout casse…


Marionnette - texte Jonavin

vendredi 12 février 2021

Première vendange




 En ce début d'automne

Le Loir s'est assoupi
Dans les brumes matinales
Augustin est pensif
Une aile sauvage zigzague
Louise en robe légère
frissonne dans un manteau de vigne
Des odeurs d'acacias, d'abricots
Détalent du jardin quand elle s'approche
Dans l'instant, lui savoure les épices douces
La cannelle qui se mélange aux écorces d'agrumes
Et soudain, il voit des fruits en grappes s'enivrer de fleurs blanches
Et soudain, il imagine un soleil rougir de plaisir
Quand le matin berce les rosées tendres
D'un ciel éméché 

jeudi 11 février 2021

Un échec

 …/…

Celui-là, ce privilégié triomphera toujours ou
presque toujours, sans effort, par la seule puissance de
sa nature, en vertu de ce don secret qu’il a, de ce
charme inconnu et sensuel  qu’il porte en lui, don et
charme inaperçus de ses voisins de même race, alors
que ces mêmes voisins, plus intelligents, plus beaux
même, échoueront dans leurs tentatives. D’où il résulte
que deux hommes pareils ont le droit de ne pas voir la
vie et les femmes de la même façon.
Et puis il y a ceux qui s’y prennent mal, ceux qui se
découragent trop vite, ceux qui ne distinguent jamais le
moment précis et surtout ceux qui désirent peu parce
qu’ils ne savent pas vraiment aimer les femmes. Je dis
que le vrai désir, le désir brûlant, le désir qui fait frémir
la main et enflamme le regard est contagieux comme
une maladie. Une femme qui se sent désirée ainsi,
appelée ainsi est à moitié vaincue d’avance. Et elles
sentent cela, par tous leurs nerfs, par tous leurs organes,
par toute leur peau. Ce genre de sympathie-là  est
irrésistible, voyez-vous. Mais, sacrebleu, il faut que le
ton de toutes vos paroles, que tous les mouvements de
votre bouche, que toutes les caresses de vos yeux, leur
disent et leur répètent l’ardeur de votre appel. Si vous
causez avec elles comme  vous le feriez avec un
professeur d’histoire, elles vous résisteront jusqu’au
jugement dernier ! Quoi que vous leur disiez, pensez à
leur étreinte, pensez à leur baiser, pensez à leur nudité,
et derrière vos paroles les  plus chastes et les plus
graves, elles devineront, elles sentiront cette
sollicitation pressante et muette.  Experto crede
Roberto. »
Jean de Valézé répondit :
– Alors on ne t’a jamais résisté, à toi ?
– Si, et tout dernièrement encore. Je vais vous dire
ça, c’est assez drôle. Mais, qui sait ? je me suis peut-
être trompé sur l’instant de la dernière attaque.
Enfin, voici. J’allais à Turin en traversant la Corse.
Je pris à Nice le bateau pour Bastia, et, dès que nous
fûmes en mer, je remarquai, assise sur le pont, une
jeune femme gentille et assez modeste, qui regardait au
loin. Je me dis : « Tiens, voilà ma traversée. »
Je m’installai en face d’elle et je la regardai en me
demandant tout ce qu’on doit se demander quand on
aperçoit une femme inconnue qui vous intéresse : sa
condition, son âge, son caractère. – Puis on devine, par
ce qu’on voit, ce qu’on ne voit pas. On sonde avec l’œil
et la pensée les dedans du corsage et les dessous de la
robe. On note la longueur du buste quand elle est
assise ; on tâche de découvrir la cheville ; on remarque
la qualité de la main qui révélera la finesse de toutes les
attaches, et la qualité de l’oreille qui indique l’origine
mieux qu’un extrait de naissance toujours contestable.
On s’efforce de l’entendre parler pour pénétrer la nature
de son esprit, et les tendances de son cœur par les
intonations de sa voix. Car  le timbre et toutes les
nuances de la parole montrent à un observateur
expérimenté toute la contexture mystérieuse d’une âme,
l’accord étant toujours parfait, bien que difficile à saisir,
entre la pensée même et l’organe qui l’exprime.
Donc j’observais attentivement ma voisine,
cherchant les signes, analysant ses gestes, attendant des
révélations de toutes ses attitudes.
Elle ouvrit un petit sac et  tira un journal. Je me
frottai les mains : « Dis-moi qui tu lis, je te dirai ce que
tu penses. »
Elle commença par l’article de tête, avec un petit air
content et friand. Le titre de la feuille me sauta aux
yeux : l’Écho de Paris. Je demeurai perplexe. Elle lisait
une chronique de Scholl. Diable ! c’était une scholliste
– une scholliste ? Elle se mit à sourire : une gauloise.
Alors pas bégueule, bon  enfant. Très bien. Une
scholliste – oui, ça aime l’esprit français, la finesse et le
sel, même le poivre. Bonne note. Et je pensai : voyons
la contre-épreuve.
J’allai m’asseoir auprès d’elle et je me mis à lire,
avec non moins d’attention, un volume de poésies que
j’avais acheté au départ : la Chanson d’amour, par Félix
Frank.
Je remarquai qu’elle avait cueilli le titre sur la
couverture, d’un coup d’œil rapide, comme un oiseau
cueille une mouche en volant. Plusieurs voyageurs
passaient devant nous pour  la regarder. Mais elle ne
semblait penser qu’à sa chronique. Quand elle l’eut
finie, elle posa le journal entre nous deux.
Je la saluai et je lui dis : « Me permettez-vous,
madame, de jeter un coup d’œil sur cette feuille ?
– Certainement, monsieur.
– Puis-je vous offrir, pendant ce temps, ce volume
de vers ?
– Certainement, monsieur ; c’est amusant ? »
Je fus un peu troublé par cette question. On ne
demande pas si un recueil de  vers est amusant. – Je
répondis : « C’est mieux que cela, c’est charmant,
délicat et très artiste.
– Donnez alors. »
Elle prit le livre, l’ouvrit et se mit à le parcourir avec
un petit air étonné prouvant qu’elle ne lisait pas souvent
de vers.
Parfois, elle semblait attendrie, parfois elle souriait,
mais d’un autre sourire qu’en lisant son journal.
Soudain, je lui demandai : « Cela vous plaît-il ?
– Oui, mais j’aime ce qui est gai, moi, ce qui est très
gai, je ne suis pas sentimentale. »
Et nous commençâmes à causer. J’appris qu’elle
était femme d’un capitaine  de dragons en garnison à
Ajaccio et qu’elle allait rejoindre son mari.
En quelques minutes, je devinai qu’elle ne l’aimait
guère, ce mari ! Elle l’aimait pourtant, mais avec
réserve, comme on aime un homme qui n’a pas tenu
grand’chose des espérances éveillées aux jours des
fiançailles. Il l’avait promenée de garnison en garnison,
à travers un tas de petites  villes tristes, si tristes !
Maintenant, il l’appelait dans cette île qui devait être
lugubre. Non, la vie n’était  pas amusante pour tout le
monde. Elle aurait encore préféré demeurer chez ses
parents, à Lyon, car elle connaissait tout le monde à
Lyon. Mais il lui fallait aller en Corse maintenant. Le
ministre, vraiment, n’était pas aimable pour son mari,
qui avait pourtant de très beaux états de services.
Et nous parlâmes des résidences qu’elle eût
préférées.
Je demandai : « Aimez-vous Paris ? »
Elle s’écria : « Oh ! monsieur, si j’aime Paris ! Est-il
possible de faire une pareille question ? »
Et elle se mit à me parler de Paris avec une telle
ardeur, un tel enthousiasme, une telle frénésie de
convoitise que je pensai : « Voilà la corde dont il faut
jouer. »
Elle adorait Paris, de loin, avec une rage de
gourmandise rentrée, avec  une passion exaspérée de
provinciale, avec une impatience affolée d’oiseau en
cage qui regarde un bois toute la journée, de la fenêtre
où il est accroché.
Elle se mit à m’interroger, en balbutiant d’angoisse ;
elle voulait tout apprendre, tout, en cinq minutes. Elle
savait les noms de tous les gens connus, et de beaucoup
d’autres encore dont je n’avais jamais entendu parler.
– Comment est M. Gounod ?  Et M. Sardou ? Oh !
monsieur, comme j’aime les  pièces de M. Sardou !
Comme c’est gai, spirituel ! Chaque fois que j’en vois
une, je rêve pendant huit jours ! J’ai lu aussi un livre de
M. Daudet qui m’a tant plu !  Sapho, connaissez-vous
ça ? Est-il joli garçon, M. Daudet ? L’avez-vous vu ? Et
M. Zola, comment est-il ? Si vous saviez comme
Germinal m’a fait pleurer ! Vous rappelez-vous le petit
enfant qui meurt sans lumière ? Comme c’est terrible !
J’ai failli en faire une maladie. Ça n’est pas pour rire,
par exemple ! J’ai lu aussi un livre de M. Bourget,
Cruelle énigme ! J’ai une cousine qui a si bien perdu la
tête de ce roman-là qu’elle a écrit à M. Bourget. Moi,
j’ai trouvé ça trop poétique. J’aime mieux ce qui est
drôle. Connaissez-vous M. Grévin ? Et M. Coquelin ?
Et M. Damala ? Et M. Rochefort ? On dit qu’il a tant
d’esprit ! Et M. de Cassagnac ? Il paraît qu’il se bat
tous les jours ?...
..................................................
Au bout d’une heure environ, ses interrogations
commençaient à s’épuiser ; et ayant satisfait sa curiosité
de la façon la plus fantaisiste, je pus parler à mon tour.
Je lui racontai des histoires du monde, du monde
parisien, du grand monde. Elle écoutait de toutes ses
oreilles, de tout son cœur. Oh ! certes, elle a dû prendre
une jolie idée des belles dames, des illustres dames de
Paris. Ce n’étaient qu’aventures galantes, que rendezvous, que victoires rapides et défaites passionnées. Elle
me demandait de temps en temps : « Oh ! c’est comme
ça, le grand monde ? »
Je souriais d’un air malin : « Parbleu. Il n’y a que les
petites bourgeoises qui mènent une vie plate et
monotone par respect de la  vertu, d’une vertu dont
personne ne leur sait gré... »
Et je me mis à saper  la vertu à grands coups
d’ironie, à grands coups de philosophie, à grands coups
de blague. Je me moquai avec désinvolture des pauvres
bêtes qui se laissent vieillir sans avoir rien connu de
bon, de doux, de tendre ou de galant, sans avoir jamais
savouré le délicieux plaisir des baisers dérobés,
profonds, ardents, et cela parce qu’elles ont épousé une
bonne cruche de mari dont  la réserve conjugale les
laisse aller jusqu’à la mort dans l’ignorance de toute
sensualité raffinée et de tout sentiment élégant.
Puis, je citai encore des anecdotes, des anecdotes de
cabinets particuliers, des  intrigues que j’affirmais
connues de l’univers entier. Et, comme refrain, c’était
toujours l’éloge discret, secret, de l’amour brusque et
caché, de la sensation volée comme un fruit, en passant,
et oubliée aussitôt qu’éprouvée.
La nuit venait, une nuit calme et chaude. Le grand
navire, tout secoué par sa machine, glissait sur la mer,
sous l’immense plafond du ciel violet, étoilé de feu.
La petite femme ne disait  plus rien. Elle respirait
lentement et soupirait parfois. Soudain elle se leva :
– Je vais me coucher, dit-elle, bonsoir, monsieur.
Et elle me serra la main.
Je savais qu’elle devait prendre le lendemain soir la
diligence qui va de Bastia  à Ajaccio à travers les
montagnes, et qui reste en route toute la nuit.
Je répondis :
– Bonsoir, madame
Et je gagnai, à mon tour, la couchette de ma cabine.
J’avais loué, dès le matin  du lendemain, les trois
places du coupé, toutes les trois pour moi tout seul.
Comme je montais dans la vieille voiture qui allait
quitter Bastia, à la nuit tombante, le conducteur me
demanda si je ne consentirais point à céder un coin à
une dame.
Je demandai brusquement : « À quelle dame ?
– À la dame d’un officier qui va à Ajaccio.
– Dites à cette personne que je lui offrirai volontiers
une place. »
Elle arriva, ayant passé la journée à dormir, disaitelle. Elle s’excusa, me remercia et monta.
Ce coupé était une espèce de boîte hermétiquement
close et ne prenant jour que par les deux portes. Nous
voici donc en tête-à-tête, là dedans. La voiture allait au
trot, au grand trot ; puis elle s’engagea dans la
montagne. Une odeur fraîche  et puissante d’herbes
aromatiques entrait par les  vitres baissées, cette odeur
forte que la Corse répand autour d’elle, si loin que les
marins la reconnaissent au large, odeur pénétrante
comme la senteur d’un corps, comme une sueur de la
terre verte imprégnée de parfums, que le soleil ardent a
dégagés d’elle, a évaporés dans le vent qui passe.
Je me remis à parler de Paris, et elle recommença à
m’écouter avec une attention  fiévreuse. Mes histoires
devenaient hardies, astucieusement décolletées, pleines
de mots voilés et perfides, de ces mots qui allument le
sang.
La nuit était tombée tout  à fait. Je ne voyais plus
rien, pas même la tache  blanche que faisait tout à
l’heure le visage de la jeune femme. Seule la lanterne
du cocher éclairait les quatre chevaux qui montaient au
pas.
Parfois le bruit d’un torrent roulant dans les rochers
nous arrivait, mêlé au son des grelots, puis se perdait
bientôt dans le lointain, derrière nous.
J’avançai doucement le pied, et je rencontrai le sien
qu’elle ne retira pas. Alors je ne remuai plus, j’attendis,
et soudain, changeant de note, je parlai tendresse,
affection. J’avais avancé la main et je rencontrai la
sienne. Elle ne la retira pas non plus. Je parlais toujours,
plus près de son oreille, tout près de sa bouche. Je
sentais déjà battre son cœur contre ma poitrine. Certes,
il battait vite et fort – bon signe ; – alors, lentement, je
posai mes lèvres dans son cou, sûr que je la tenais,
tellement sûr que j’aurais parié ce qu’on aurait voulu.
Mais, soudain, elle eut une secousse comme si elle
se fût réveillée, une secousse telle que j’allai heurter
l’autre bout du coupé. Puis, avant que j’eusse pu
comprendre, réfléchir, penser à rien, je reçus d’abord
cinq ou six gifles épouvantables, puis une grêle de
coups de poing qui m’arrivaient, pointus et durs, tapant
partout, sans que je puisse les parer dans l’obscurité
profonde qui enveloppait cette lutte.
J’étendais les mains, cherchant, mais en vain, à
saisir ses bras. Puis, ne sachant plus que faire, je me
retournai brusquement, ne présentant plus à son attaque
furieuse que mon dos, et cachant ma tête dans
l’encoignure des panneaux.
Elle parut comprendre, au son des coups peut-être,
cette manœuvre de désespéré, et elle cessa brusquement
de me frapper.
Au bout de quelques secondes elle regagna son coin
et se mit à pleurer par grands sanglots éperdus qui
durèrent une heure au moins.
Je m’étais rassis, fort inquiet et très honteux.
J’aurais voulu parler, mais que lui dire ? Je ne trouvais
rien ! M’excuser ? C’était stupide ! Qu’est-ce que vous
auriez dit, vous ! Rien non plus, allez.
Elle larmoyait maintenant et poussait parfois de gros
soupirs, qui m’attendrissaient et me désolaient. J’aurais
voulu la consoler, l’embrasser comme on embrasse les
enfants tristes, lui demander pardon, me mettre à ses
genoux. Mais je n’osais pas.
C’est fort bête ces situations-là !
Enfin,  elle  se  calma,  et nous restâmes, chacun dans
notre coin, immobiles et muets, tandis que la voiture
allait toujours, s’arrêtant parfois pour relayer. Nous
fermions alors bien vite les yeux, tous les deux, pour
n’avoir point à nous regarder quand entrait dans le
coupé le vif rayon d’une lanterne d’écurie. Puis la
diligence repartait ; et toujours l’air parfumé et
savoureux des montagnes corses nous caressait les
joues et les lèvres, et me grisait comme du vin.
Cristi, quel bon voyage si... si ma compagne eût été
moins sotte !
Mais le jour lentement se glissa dans la voiture, un
jour pâle de première aurore. Je regardai ma voisine.
Elle faisait semblant de dormir. Puis le soleil, levé
derrière les montagnes, couvrit bientôt de clarté un
golfe immense tout bleu, entouré de monts énormes aux
sommets de granit. Au bord du golfe une ville blanche,
encore dans l’ombre, apparaissait devant nous.
Ma voisine alors fit semblant de s’éveiller, elle
ouvrit les yeux (ils étaient rouges), elle ouvrit la bouche
comme pour bâiller, comme si elle avait dormi
longtemps. Puis elle hésita, rougit, et balbutia :
– Serons-nous bientôt arrivés ?
– Oui, madame, dans une heure à peine.
Elle reprit en regardant au loin :
– C’est très fatigant de passer une nuit en voiture.
– Oh ! oui, cela casse les reins.
– Surtout après une traversée.
– Oh ! oui.
– C’est Ajaccio devant nous ?
– Oui, madame.
– Je voudrais bien être arrivée.
– Je comprends ça.
Le son de sa voix était un peu troublé ; son allure un
peu gênée, son œil un peu fuyant. Pourtant elle semblait
avoir tout oublié. Je l’admirais. Comme elles sont
rouées d’instinct, ces mâtines-là ? Quelles diplomates !
Au bout d’une heure, nous arrivions, en effet ; et un
grand dragon, taillé en hercule, debout devant le bureau, agita un mouchoir en apercevant la voiture.
Ma voisine sauta dans ses bras avec élan et
l’embrassa vingt fois au moins, en répétant : « Tu vas
bien ? Comme j’avais hâte de te revoir ! »
Ma malle était descendue de l’impériale et je me
retirais discrètement quand  elle  me  cria :  « Oh !
monsieur, vous vous en allez sans me dire adieu. »
Je balbutiai : « Madame,  je vous laissais à votre
joie. »
Alors elle dit à son mari : « Remercie monsieur,
mon chéri ; il a été charmant pour moi pendant tout le
voyage. Il m’a même offert une place dans le coupé
qu’il avait pris pour lui tout seul. On est heureux de
rencontrer des compagnons aussi aimables. »
Le mari me serra la main en me remerciant avec
conviction.
La jeune femme souriait en nous regardant... Moi je
devais avoir l’air fort bête !
Lataille se tut, puis reprit :  « Assurément,  j’avais
commis une faute de tactique ou de tact. Mais
laquelle ?... »

(Guy de Maupassant)

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