mercredi 22 janvier 2025

Rosée brumeuse

 Le dimanche soir, je pensais à la douceur d'automne dont les formes colorent et pimentent les paysages.

Depuis une semaine, j’étais revenu au pays,

Ma saison de serveur venait de se terminer et je savourais la tranquillité d'un anjou oublié.

De l’autre côté du fleuve, je voyais toujours le fruit en grappes s’enivrer de miel et de fleurs blanches à travers l'alignement des vignes où la mémoire garde une nature cachée.

Des paysages entre douceur angevine et camargue sauvage.

Quelques heures auparavant, la main d'Aude caressant les baies gorgées de soleil.
En ce beau dimanche après midi, pour la première fois, j'entendais le mot « rosée brumeuse « échappée de sa bouche dont je faisais mine de ne pas comprendre.

<< Laurent, écoute,
une journée ensoleillée comme celle-ci, combinée à des brumes matinales favorise et accélère ce phénomène.
Tu dois bien comprendre pour que le champignon se développe, il faut un fort taux d’humidité afin que celui-ci attaque la peau du raisin et nourrit l’eau qu’il contient.
Peu à peu, la baie du raisin diminue en volume mais augmente en taux de sucre.
Imagine sans cesse, la vigne caressée par le vent,  une nature réchauffée doucement sous l'action conjugué du soleil quand la brume s'évanouit pour faire disparaître son manteau.
En Anjou, on appelle ça une « rosée brumeuse ».
Sais-tu au moins, que tu es assis sur une parcelle silicio-schiste ! <<

Pardon!

<< Le schiste est un bon drainage pour les raisins de la vigne.<<

Qu'elle reprenait d'un sourire malicieux
Le temps d’apercevoir deux petites bouteilles au fond de son panier en osier.

<< Goûte-moi ça ?
Connais-tu la différence entre ces 2 appellations.
Toi qui reviens de Camargue, tu dois en savoir des choses.
Tu vois, Laurent, la différence c’est comme le regret et un remord. 
La nuance est subtile <<

Je restais perplexe à ces allusions, pendant qu’elle déballait 2 verres au fond du sac où je voyais la couleur or couler lentement sur les parois.

<< Respire ce Bonnezeaux ! 
Riche en arômes de fleurs blanches, au nez d’acacia.
Hume cette persistance.
On découvre des notes miellées, de fruits confits, d’abricots et de coings.
T'en penses quoi ? <<

Comme un peu endormi, ses paroles réveillaient mes sens où je retrouvais ce graduel de saveurs et d'épices douces d'autrefois.

<< Tu sens la texture du gras qui enveloppe le palais. En attaque le Bonnezaux a cette puissance.<<

Pendant que je regardais le paysage, les traits harmonieux d’Aude se confondaient devant les ailes du moulin. C’était une fille de bonne famille, cultivée dont la vie l’avait bercée dans les méandres du Layon. C’était une passionnée. Intarissable dans le domaine du vin.
Je l’avais connu au restaurant "La salamandre" lors de mes extras puis on s’était perdu de vue.
A Savennières lors de la fête des saveurs, je l'avais reconnu derrière son stand. La sentant un peu confuse.

Grâce à mes conquêtes arlésiennes dans la région la plus sauvage de France, j'avais gagné en assurance même si rien n'est gagné avec une femme, je partais en territoire conquis.
Hasard singulier se superposant comme deux personnes se rejoignent à la confluence de la Loire.
Maintenant Aude, d'un geste élégant soulevant son verre au milieu des vignes.
Charmé de voir ce vin ambré bercé par son poignet fin dont je retrouvais les profondeurs d'antan. 
Son quart de chaume tirant plus sur la finesse.
M’expliquant de manière solennelle que le minéral diffère dû au terroir du nord.

<< Sais-tu Laurent ? 
Qu’il y a en dessous du quartz, du schiste et de l’ardoise. Cette mosaïque est propice au drainage de la vigne parce que les racines puisent dans les strates de la roche.
Eh oui, par effet de capillarité, la vigne se nourrit en continue.
Comme tu peux le constater, la matière est puissante en bouche, sans lourdeur.
Elégance, pureté. 
Dans ta main, tu as un cœur avec une tendresse opulente.
Un équilibre entre moelleux et acidité.
Tu vois, Laurent, le chenin a la particularité d’apporter cette fraîcheur alliant le sucre des grains botrytisés qui donne cette sensation d’équilibre. 
En final, tu ressens une saveur de miel d’acacia dominante qui se dépose sur le bout de ta langue avec un effet crescendo. 
Une sorte de mouvement, où tu bascules dans une douceur discrète.<<

Quand elle s’allongea sur l’herbe…Je réfléchissais à la nuance entre remord et regret.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Membres