vendredi 29 mai 2020

Les mangeurs de pommes de terre



Quelques lueurs oscillantes arrosent la margelle de la lampe. Juste une lumière ronde, flambée sous le métal qui puise tout ce noir de vigne. Longtemps j'ai voulu incendier la broussaille de mes lèvres. En détrempe avec une eau rouillée, mes larmes sonores brûlées à feu nu, suintent un rouge de fer. Elles ont déjà la même piqûre que les rousseurs du bois enfumé. Comme si dehors, les corons de briques distillaient la houillère de la rue d'Arcole pour éteindre les charbons dans l'eau des pleurs.
Comme si ma barbe rouquine, capable de broyer la couleur pouvait soudain, éplucher les solives. Mais surtout laver la pelure des visages, éclairés par l'or jaune d'un simple plat de pommes de terre. J'ai fermé la lourde porte derrière moi. Comment ne pas me reconnaître parmi ces gens? Indésirable, je dors sur la paille, visite les malades, leur lis la bible, parfois Dickens ou Hugo, prédicateur mort-né venu évangéliser les pauvres avec son propre tourment! Tout ce qui germe doit naître de la peinture, ma seule vocation. Dans ces couleurs besogneuses que le pinceau viendra ramasser en nuances. En odeurs palpables, breuvage et graisses transpirant la toile. Dans ce clair-obscur où l'humilité de mon âme est déjà lucide. Et dans le travail de mes doigts Théo, afin de libérer ces gens de toute résignation! De toute crispation!
Je me blottis aux coiffes illuminant la visière des casquettes molles. A la chevelure tiède d'une jeune fille me tournant craintivement le dos. Et le contraste avec la blancheur des jattes abreuve la pureté de ma folie. Le tumulte de mes crises dépressives qui, secrètement, a nourri bien des mélancolies depuis l'enfance. Mangeurs de pommes de terre...Je suis des yeux chacun de leurs gestes. J'abandonne ma frustration d'artiste pour vêtir celle de la prière, pour comprendre certaines postures, la position d'un buste. Pour somatiser l'angoisse qui ronge la paix familiale avec la noirceur de ces murs déguenillés. J'y vois le presbytère parental, un frère mort, l'école publique, autant de loques et de peaux souffreteuses qui m'éloignent d'une vraie lumière. D'un vrai décor, sans nids d'oiseaux ni sombres tourbières.
Le Borinage est un vieux Venise. Pasteur sans sermon, j'ai sué la même souffrance. Monotonie des jours qui se ressemblent, j'ai façonné le même ennui. Bu le même café. Mangé les mêmes orties. Et si la terre d'ombre, mélange de bitumes mâchure encore les carreaux sales, elle trace aussi avec vigueur les rides et les cernes des mineurs. Une croûte de soleil descend du plafond pour cueillir dans l'instant, cette tendresse qui semble alors les réconforter. Avec cette malédiction de vivre qui scelle leurs lèvres argileuses. Avec ce fer oxydé saignant l'ocre brune de leurs mains noueuses dont la colère disparaît parfois dans des rognures de nuit. Apprenti, pourrai-je demain peindre ces mains tenaces avec le même détail qui sourde une révolte soumise? Théo, ces mains ont faim d'avoir vaincu la terre glaise.Toute cette pudeur réveille tant de regards complices chez ces deux couples qu'elle me remue le cœur. L'intimité secrète qui les unit réchauffe tant de lueurs au fond de leurs prunelles qu'elle ébranle ma propre solitude. Mon propre désarroi. Ma propre déchéance.
Les mains se frôlent, sans heurt. Mais leurs fourchettes, Théo, sont des pioches qui continuent de creuser l'intérieur de ma tête...

(texte Jonavin)

lundi 25 mai 2020

Noilly prat rouge


Je connaissais le Noilly Prat blanc extra dry que l'on trouve facilement dans les rayons en supermarché. (moins onéreux que le xérès fino).
Très demandées par les clientes, surtout en période festive pour déglacer les noix de St Jacques, queues d'écrevisses et autres mets fins.
Tout ça met l'eau à la bouche de voir ces ménagères concocter de bons petits plats pour leurs maris en fin de semaine.
Il aura fallu que j'aille dans le nord de la France pour découvrir cet apéritif. Un goût moins sucré et plus amer que le Martini rosso.
Et puis, quand c'est servi dans de beaux verres à cocktail. Ça enchante tout de suite le palais.
J'aime beaucoup le Noilly Prat rouge.
Je comprends mieux  pourquoi c'est le vermouth français préféré des étrangers.

dimanche 24 mai 2020

Je ne suis plus chez le coiffeur

Depuis ce matin, j'arpente la lande. Cheveux courts,
Même si je devine le printemps léger qui éclate en silence. Je suis sûr que ton ombrelle n'a pas encore quitté le port ni l'expression figée du premier rendez-vous.
Pas la peine de se torturer la frange pour comprendre ça. Tout à l'heure, il y avait les fleurs sauvages, ton parfum brûlant sur la ligne d'horizon
Ces lignes qui s'entrechoquent et celles qui se brisent pour disparaître sur le contour d'une bretagne semblable aux monts d’arrée.
Dois-je encore m'émerveiller comme un sentiment ancien. Là, où les senteurs marines se couchent quand les algues respirent ici la nuit? Pourtant le vol en rase-motte des mouettes dans le ciel nuageux semble m'échapper de nouveau. Comme si le faisceau à l'immunité acquise donne l'impression que les semailles à venir n'existent pas.
Sur l'estran, je n'aurai jamais dû cueillir tes baisers. Au milieu de nulle part, il me reste la semeuse à tout vent, celle que l'on emporte à ciel ouvert. 
Les rêves incultes, par delà les champs, et ta robe à soleil avec la lumière retrouvée des beaux jours. Avant que le givre ne ratisse la campagne.
Je sais que tu ne reviendras pas, parfois dès les premières fontes, j'ai l'impression que je découvre l'humeur des jardins maritimes. Dans cette vague de froid, tu m'attends, grelottante.
Radieuse, tu te penches à peine. Habillée de jaune sous les méduses d'un parapluie ouvert.
Comme l'annonce d'une saison nouvelle où tu fais éclore mon cœur...

mercredi 13 mai 2020

Les Côteaux du Vendômois




En ce jeudi, je découvre les vins du Vendômois à Villiers sur Loir.
Les incertitudes du matin automnal se sont estompées sur la petite place de Marçon. Le bruissement de certaines choses me fait comprendre que le temps n'a rien à voir avec le bonheur ni même la solitude. Le fait d'être seul sur le banc me donne un air de bien être et je profite pour croquer un silence de novembre au milieu des seize platanes.
Sur la route du retour, après ce léger vagabondage, je reprends mes esprits.
Sur l'écriteau, j'aperçois "Les Côteaux du Vendômois". Je bifurque donc sur le parking qui semble désert.
Dès le gling de la porte, une jeune femme à la coupe garçonne m’accueille.
Je jubile,  devant moi le comptoir de dégustation avec ses grands verres suspendus.
Sur le côté droit, un alignement de palettes avec des bouteilles bien rangées attire mon attention.
Pour un jeudi après-midi ! Respirer l'odeur du vin champêtre au pays de Ronsard avec le visage de "Meg Ryan" comme hôtesse de jour. Y a pas mieux pour débuter !
Pour épicer la conversation, je lui demande "Quelle est la typicité régionale du rouge"? Son débit de paroles est remarquable, fluide. En plus d'être pédagogue, la vendeuse est avenante, dynamique.
Difficile de ne pas se laisser glisser comme un chaland sur le bord du Loir.
Profitant du calme,
Elle m' invite à la dégustation pour me faire deviner la gamme du pays.

Dès les premières gorgées, les vins sont frais, ronds au goût fruité pour les rouges. Hum! la minéralité du chenin blanc, citronné en finale de bouche me plaît, Et j'aime bien quand ça titille un peu au bout de la langue.
Les rosés et gris ont un côté poivré qui se détachent nettement de ceux de l'anjou. Notamment ce pineau d'Aunis à la rose pâle dont ce mélange aux arômes de baies rouges et notes poivrées me rappelle cette jeune saumuroise sous un manteau de vigne. Aux épices douces que l'on découvre...Au détour d'un chemin...
J’imagine des associations. Cette légèreté dans le palais avec la subtilité en douceur quand le vin se fait discret.
La charmeuse me fait comprendre qu’il existe pour les littéraires et poètes, une cuvée "Irène Frain".
Dans la vitrine du rayon, des bouteilles vinifiées en vendanges tardives et demi-sec ouvrent mon imagination quand je revois la couleur ambrée qui coulait lentement sur les parois du verre lors du premier rendez-vous.

Pour ne pas oublier les parfums Vendômois, Je repars avec deux cartons sous les bras.
Sur le parking, l’éclat du soleil est toujours là. En allumant la radio, il ne manquerait plus que j’écoute "Eye in the Sky" d’Alan Parsons...

dimanche 10 mai 2020

M



Le saule pleureur dans ma tête fait de l'ombre à mes rêves. Même le brise-vue du balcon flaire ce qui s'y cache; avec le bruit des camions qui passent, la pétarade d'un quad ou l'aboiement des chiens sans muselière. D'ailleurs, je les connais ces molosses à bave jaune. Ils lèvent la nuit en levrette, plantent leurs crocs dans des lueurs canines, hurlent à la mort sur le palier d'en face.
Oreilles droites, ils ont déjà mordu l'os de mon silence.
Et ce grillage qui de l'autoroute avance, avance avance. Le square est un atoll. Je l'imagine avec le palmier et les nymphéas en plastique du voisin. La lagune qui chante au pommeau d'arrosoir a perdu tes lèvres de corail. Combien sont-ils encore à jardiner le varech des pelouses sous-marines? A embrasser le sel des bouches d’égouts, corailleurs des trottoirs où les pirogues font place à des caddies qui s'entrechoquent?
Sur le parking de la mélancolie, pis-aller d'océans comme le fond des cages où sèche un linge pisseux, combien sont-ils à gonfler leurs voiles?
Mais j'attends les meutes avec une laisse de haute mer...Indifférent à l'auto-grue qui emmène les cadavres à la fourrière. Aux flaques sales qui toilettent mon petit carré de bitume.
Parfois, les branches tombantes de mon saule abritent les oiseaux morts. Leurs moignons d'ailes. Et le ciel, sodomite, viole des lumières groggy qu'il abandonne dans un néon. Il plante des nuits de gouttière, enferme ses vierges dans des flammes électriques sous les plafonniers. Demi-lune placentaire nourrissant les muettes, coupables de violence avec les heures nues de l'aube. Du rez-de-chaussée à l'ascenseur, j'entends les meutes. Avec les grues dans les bacs à sable, les bennes à ordures éventrées. Avec les abris-bus et leurs affiches de voyage derrière un océan de verre. Au fond de l'escalier, le cuir grené des tags tapisse les coups de griffes des portes sans serrures.
Comme l'aggravée et les poux des pelages étrangers suant l'hébétude et l'inconfort des chenils ténébreux.
Le saule pleureur fait de l'ombre à mes rêves. Et je traîne la patte. Cabot, honteux à glapir sous ta robe. Je m'y suis niché avec mes yeux d'épagneul comme d'autres y abandonnent leur collier de misère. J'ai beau gémir que je t'M comme la meute, je ne suis pour toi qu' un clébard en rogne. Un esprit de bas étage qu'on siffle à chaque coin de rue..

(texte Jonavin)

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