vendredi 25 septembre 2020

Manon

 


Manon rayonne.

Déjà, les épis de ses cheveux tirés à la courte-paille font les blés mûrs d'automne. Avec quelques bleuets sur le front, ecchymoses de tournesol. Une énorme bosse enlaidit les yeux papillons qui tardent à disparaître. Sur le chemin en zigzag, l'ombre contusionne ce visage qu'un sommeil étrange est venu cueillir maladroitement. Par contrecoup, la roue de la bicyclette tourne encore, voilée et grinçante.
C'est une fin d'après-midi. Dans le champ voisin, les corneilles mantelées croassent. Portent-elles le deuil d'un ciel bas et orageux, celui d'un chemin accidenté? De quoi faire chuter les théories les plus insensées avec cette jeune femme en danseuse! Avec le faible éclairage de la lampe à acétylène, un pneu avant dans les ornières humides et suivant la gigue, un frein à patin pour bloquer le guidon.
Un chemin en lacets s'attache aux oeillets de ses petites bottines. Houppettes de cuir fané sur des rubans de satin noir. Soudain, le soleil s'effondre avec le garde-boue. Dans ces menottes que la nuit séquestre, un cordonnet situé en avant de la fourche - frein désormais inutile. Et le vent, pédaleur infatigable, qui emporte en roue libre les derniers coquelicots de son visage tuméfié, inerte. Comme des pansements de dentelle, lambeaux de sa robe à fleurs retroussée jusque derrière la nuque. Pourtant, une heure plus tôt, tintaient la sonnette et les rires de Jeanjean. Une heure plus tôt, la cadence des jambes était encore rythmée et joyeuse.
Une corneille se pose sur le filet garde-jupes. Son plumage tranche avec la lanterne dont le phare, décortique au loin, les contours d'un siège-enfant.
Il pleut...
(texte Jonavin)

Membres