lundi 25 octobre 2021

Tupperware


 J’ai toujours aimé les réunions Tupperware.

Une réunion de femmes qui se déroulait souvent le vendredi soir.
A l’époque, Je n’aimais pas sortir dans les bars du centre-ville. Quitte à ne plus jouer au flipper sous les huées des midinettes, à ne plus voir leurs tee shirt moulants dont la fumée des cigarettes par surcroît me piquait les yeux.
J'avais abandonné le juke box et tout le tatouin.
Mieux que ça, je m’étais reconverti assistant "Tupperware".
La première fois, je me souviens quand ma mère avait organisé la première réunion.
J’avais délaissé les femmes romantiques du feuilleton télévisé.
Au premier coup de sonnette. Je m’étais retrouvé nez à nez avec de belles mamans maquillées, charmantes, parfumées, accompagnées de leurs filles.
Stupéfait ! Trouvant vite un prétexte pour aider ma mère dans les préparatifs. Gêné, timide malgré mes seize ans. Devant toutes ces dames et demoiselles dont les regards se posaient sur moi.
J'étais le seul garçon qui assistait à la réunion et je me demande si ce n'est pas à cette époque j'ai développé ma capacité de séduction en les observant.
Nicole arrivait toujours une demi-heure avant pour déballer le matos.
Elle dégageait une aura, une joie de vivre qu’elle communiquait. C’était une femme de 40 ans, issue du terroir qui travaillait la terre proche de Sainte-Mère-Eglise. Parfois le dimanche, elle nous invitait dans son corps de ferme pour le café 
Nicole vouait une admiration pour ma mère. Nous étions cinq enfants, sans doute, le fait d’être célibataire,  Elle appréciait de nous recevoir, et ça se voyait.
Nous aimions cet endroit champêtre. Où, en entrant ... Ca sentait bon la campagne.
Dans la pièce à vivre, trônait sur la table un vase de jonquilles, autour s’étalaient des bols en grès pour boire le cidre fermier.
Dans la cour, il y avait une petite mare, des canards, des oies, des poules, et un pressoir en forme de pierre.
Nous étions heureux.
Assis sur le rebord, ma sœur, mes frères et moi, attendions que tout le monde se rassemble pour partir en promenade.
Une découverte sur les chemins bordés de haies, où Nicole laissait nos yeux rêveurs se perdre dans la douceur des prairies parfumées.
Ma mère avait en charge les préparations culinaires, et la déco c’était vraiment son truc.
Nicole l’avait remarqué et puis le courant passait bien entre eux.
Je revois encore ma mère dans le grand séjour, image figée avec un plateau.
Quand les invités arrivaient, chaque hôte recevait son petit cadeau de bienvenue.
Ce vendredi-là, c’était la saupoudreuse beige.
Et le spectacle commençait.
Les objets, les couvercles, les boîtes hermétiques valsaient sous un flot de paroles.
Des gestes répétés des centaines de fois par une professionnelle méthodique, efficace.
Tournée dans l’axe de vente où se profilait les arguments pour créer le besoin et déclencher l'acte d'achat.
N’empêche, c’était une superbe idée ces boites miracles qui se superposaient bien plus dans le placard que dans le frigo mais tellement idéal pour la conservation des aliments sans aucune concurrence sur le marché. Les soi-disant marque Curver  ou autre que l’on trouvait en grande surface ne payait pas de mine devant la gamme Tupperware.
Eh oui ! Je l'entends encore.
(La tranche de jambon enroulée, se gardait bien plus longtemps dans la petite boîte hermétique)
La phrase magique. « Vous n’êtes pas sans savoir » ... Mesdames.
Et puis, il y avait toujours la dernière collection.
Les boîte ovales que personne n’avait vu, les petites dosettes, la petite pelle à farine, les petites boîtes gigognes de couleur pastel qui s’emboîtaient comme des poupées russes que chaque invité se passait entre les mains.
Ensuite, ma mère arrivait avec les préparatifs dont le fameux charlotte en forme rectangulaire à l'ananas où chaque tranche entière, décorée sur le dessus facilitait le découpage.
Chaque moule contenait 9 parts, tout frais démoulé, saupoudré de vermicelle.
Quand je pense, à ce petit bout de femme aux joues rouges respirant le bon air normand qui disait avec humilité ne rien connaître au commerce.
Sous son faux air paysan, elle était très cultivée, une redoutable vendeuse qui explosait le chiffre d'affaires de la concession. L'une des plus redoutables ambassadrices du département de la Manche. Se payant même le luxe de choisir ses plus beaux voyages aux quatre coins du monde.
Je me souviens encore, du
« Mesdames, Regardez, »
En deux trois mouvement,
Le shaker …
(Vendre, c’est prouver, qu’elle reprenait dans son discours).
Avec la dynamique gestuelle.
Top chrono…Une sauce émulsionnée, une vinaigrette … en 10 secondes devant les yeux médusés de la ménagère.
Les recettes vite fait bien faites.
Jamais de mots termites ne sortaient de sa bouche.
Facile, rapide, efficace, économique, solide, incassable…Ces intonations dont la persuasion faisait mouche.
Pendant la dégustation de la charlotte. A haute et intelligible voix, elle récapitulait les bons de commande. A ce moment, je partais subrepticement vers la cuisine pour appuyer sur le bouton rouge de la cafetière Seb afin de contenir mon fou rire. Et comme par enchantement, des articles supplémentaires se cochaient  au fur et à mesure naturellement dans la bonne humeur. Nicole ne perdait jamais le fil.
Depuis 10 ans, elle arpentait le Cotentin plus une partie du Calvados par tous les temps. Une citroën Visa, bourrée d'ustensiles en plastiques dans des ballots géants transparents correspondant aux ventes, qu'elle livrait après chaque réunion.
Une soirée organisée avec Nicole, c'était pour ma mère le Jackpot assuré en cadeaux.
Parfois, je pense à elle, au bocage, aux prairies... C’était une femme menue qui possédait beaucoup de qualités. Maintenant avec le recul, je comprends pourquoi elle était très courtisée dans le canton.
Oui, une simplicité conjuguée à la douceur de son corps, pétrie de gentillesse, une femme débordant d'énergie qui me fascinait du haut de mes seize ans.
Vivant seule en pleine nature au milieu du bocage sans compagnon.
Manquant juste à son bonheur…
 « Vous ne pouvez pas comprendre comme le silence pèse . » Qu’elle répliquait à ma mère concernant les enfants.
C’était une femme libre...
Aujourd’hui, j’ai encore la saupoudreuse de couleur beige,  en ce moment, elle squatte sur ma table.
C’était chouette ! Les Tupperware.

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