lundi 20 décembre 2021

Libe et Lulle





 Libe et Lulle sont deux demoiselles. Deux demoiselles qui font du zèle. Des coups bleus avec leurs ailes . Deux petites fleurs bleues avec quatre petites ailes et six gros ocelles.

Quand valsent les moustiques, elles font les gros yeux. A la piqûre d'un regard, prennent la mouche. Et tiquent ! Elles volent l'été, le temps et les volants de taie à l'étang. Des coussins de brume et de roseaux, un drap d'eau et de rosée...aquatique. Corsetées, elles voltigent de joncs en jonques, se chinent de jaune et de jonquille dans le crépuscule. Là où les nénuphars pullulent. Libe et Lulle, alors se congratulent, s'exhibent. Conciliabules et bribes se bercent  sur le trille d'un vent qui ulule avec les moulins à tan. Mais déjà tourne la roue à aubes. Un matin de papier bulle qui se dérobe avec les premiers papillons. Les premiers taons...

Là où la bonde s'émonde de ses branches mortes, Libe et Lulle capitulent dans la ronde. La fronde qui démantibule leurs mandibules, inhibe la diatribe de leurs sentiments ridicules. Elles ondulent sereines et reines, comme les battements d'une pendule, ce scribe malfaisant, cet immonde crapule. Là où la vase abonde, les pluies inondent la mare aux libellules. Et ces insectes agaçants, minuscules, soudain se dévergondent à contre-vent...

(texte Jonavin)

lundi 6 décembre 2021

Mucadet de Sèvre et Maine sur Lie

 



iL est fin, frais et léger.

C'est le muscadet par excellence parce qu'il est parfaitement souple. Son acidité n'est pas agressive.
Température de dégustation :  7- 8°.
Evitez des millésimes supérieurs à 2 ans quand vous faites vos courses au supermarché pour garder la fraîcheur.
C'est exquis avec une assiette de saumon fumé.
Le vin idéal pour finir un reste de poisson le dimanche soir.
En guise d'apéritif, je l'accompagne souvent avec des crevettes grises ou avec des rondelles d'andouille de Guéméné, bien sûr accompagné de beurre salé breton (en gardant une rasade de vin pour faire voyager les aliments en bouche, c'est encore mieux). A ne pas faire lors du 1er rendez vous amoureux sauf si vous êtes à l'aise avec la donzelle.

Le Muscadet « C’est bon et pas cher » Et puis le vin qui titille le bout de la langue avec les arômes citronnés, hummm...Rien de tel pour augmenter son taux de testostérone avec les aliments riches cités en référence ci dessus .
Ah aussi le Gros plant souvent oublié et curieusement si vous avez devant vous un grand plat de fruits de mer reposant sur un lit d'algues. 
Sur votre table, c'est Le bonheur de l'atlantique! Avec l'odeur de la houle si particulière aux côtes de cette région sauvage, alors vous trouverez la dureté du Gros-plant accompagne étonnamment les huîtres, les coques, le crabe et le reste...Et tout finit sur lie comme le vin l'indique...

vendredi 12 novembre 2021

Je sors de chez le coiffeur


 Si j'étais en Anjou, J'irai te chercher à la gare. 

Comme d' habitude, je fais les cents pas dans ma tête.
Je porterai tes bagages jusqu' au coffre de la voiture. Quelle belle image quand le bonheur s'installe sur cette terrasse du bistrot, où je rafraîchirais tes yeux pour te séduire.
Je connais l'horizon du large, 
Il y a bien longtemps que je t'aime.
Je t’emmènerai aussitôt en direction de Saumur 
Oh oui, sur la route touristique "La jetée de la Loire".
Y a plein de trucs là-bas. Pas la peine de se torturer la frange pour comprendre ça.
Si ça te dit,
Une champignonnière, une ferme encavée en troglo plaine ou pourquoi pas les pommes tapées en troglo côteau?
L'Anjou t'envoûtera,
Tu aimeras encore le commerce des musées anciens et les fouées dégustés dans un caveau à Doué la Fontaine.
Le cadre noir peut bien attendre.
Le temps passe si vite,
Un bivouac improvisé! Tu en as des idées...
Ah la douceur du soir comme les bougies dans les cafés d'Amsterdam.
Te rappelles-tu?
Qu' au détour d'un village gabarier, tu t'émerveillais en face de la Loire. Pieds nus foulant le banc de sable dans une coulée de lumière.
On aime tellement la vie quand tout se réveille doucement.
Moi aussi, j' adore les endroits où l'ombre butine et caresse les peaux blanches
Du jour, où j'ai cueilli tes baisers, tu as semé mes sentiments comme les semailles à venir.
Des toiles d'évasion quand le vent joue les gitanes à travers les cordes de la vie.
Je pourrai continuer la liste.
Il y a aussi Tours, son vieux quartier, ces vignobles, les châteaux de la Loire.
Ce n'est pas un tour pour rien ce que je propose.
Aujourd'hui, j'ai un beau teint.
J'ai ratissé quelques brindilles.
Je sors de chez le coiffeur,
Demain,
je t'embrasserai à ciel ouvert...

lundi 25 octobre 2021

Tupperware


 J’ai toujours aimé les réunions Tupperware.

Une réunion de femmes qui se déroulait souvent le vendredi soir.
A l’époque, Je n’aimais pas sortir dans les bars du centre-ville. Quitte à ne plus jouer au flipper sous les huées des midinettes, à ne plus voir leurs tee shirt moulants dont la fumée des cigarettes par surcroît me piquait les yeux.
J'avais abandonné le juke box et tout le tatouin.
Mieux que ça, je m’étais reconverti assistant "Tupperware".
La première fois, je me souviens quand ma mère avait organisé la première réunion.
J’avais délaissé les femmes romantiques du feuilleton télévisé.
Au premier coup de sonnette. Je m’étais retrouvé nez à nez avec de belles mamans maquillées, charmantes, parfumées, accompagnées de leurs filles.
Stupéfait ! Trouvant vite un prétexte pour aider ma mère dans les préparatifs. Gêné, timide malgré mes seize ans. Devant toutes ces dames et demoiselles dont les regards se posaient sur moi.
J'étais le seul garçon qui assistait à la réunion et je me demande si ce n'est pas à cette époque j'ai développé ma capacité de séduction en les observant.
Nicole arrivait toujours une demi-heure avant pour déballer le matos.
Elle dégageait une aura, une joie de vivre qu’elle communiquait. C’était une femme de 40 ans, issue du terroir qui travaillait la terre proche de Sainte-Mère-Eglise. Parfois le dimanche, elle nous invitait dans son corps de ferme pour le café 
Nicole vouait une admiration pour ma mère. Nous étions cinq enfants, sans doute, le fait d’être célibataire,  Elle appréciait de nous recevoir, et ça se voyait.
Nous aimions cet endroit champêtre. Où, en entrant ... Ca sentait bon la campagne.
Dans la pièce à vivre, trônait sur la table un vase de jonquilles, autour s’étalaient des bols en grès pour boire le cidre fermier.
Dans la cour, il y avait une petite mare, des canards, des oies, des poules, et un pressoir en forme de pierre.
Nous étions heureux.
Assis sur le rebord, ma sœur, mes frères et moi, attendions que tout le monde se rassemble pour partir en promenade.
Une découverte sur les chemins bordés de haies, où Nicole laissait nos yeux rêveurs se perdre dans la douceur des prairies parfumées.
Ma mère avait en charge les préparations culinaires, et la déco c’était vraiment son truc.
Nicole l’avait remarqué et puis le courant passait bien entre eux.
Je revois encore ma mère dans le grand séjour, image figée avec un plateau.
Quand les invités arrivaient, chaque hôte recevait son petit cadeau de bienvenue.
Ce vendredi-là, c’était la saupoudreuse beige.
Et le spectacle commençait.
Les objets, les couvercles, les boîtes hermétiques valsaient sous un flot de paroles.
Des gestes répétés des centaines de fois par une professionnelle méthodique, efficace.
Tournée dans l’axe de vente où se profilait les arguments pour créer le besoin et déclencher l'acte d'achat.
N’empêche, c’était une superbe idée ces boites miracles qui se superposaient bien plus dans le placard que dans le frigo mais tellement idéal pour la conservation des aliments sans aucune concurrence sur le marché. Les soi-disant marque Curver  ou autre que l’on trouvait en grande surface ne payait pas de mine devant la gamme Tupperware.
Eh oui ! Je l'entends encore.
(La tranche de jambon enroulée, se gardait bien plus longtemps dans la petite boîte hermétique)
La phrase magique. « Vous n’êtes pas sans savoir » ... Mesdames.
Et puis, il y avait toujours la dernière collection.
Les boîte ovales que personne n’avait vu, les petites dosettes, la petite pelle à farine, les petites boîtes gigognes de couleur pastel qui s’emboîtaient comme des poupées russes que chaque invité se passait entre les mains.
Ensuite, ma mère arrivait avec les préparatifs dont le fameux charlotte en forme rectangulaire à l'ananas où chaque tranche entière, décorée sur le dessus facilitait le découpage.
Chaque moule contenait 9 parts, tout frais démoulé, saupoudré de vermicelle.
Quand je pense, à ce petit bout de femme aux joues rouges respirant le bon air normand qui disait avec humilité ne rien connaître au commerce.
Sous son faux air paysan, elle était très cultivée, une redoutable vendeuse qui explosait le chiffre d'affaires de la concession. L'une des plus redoutables ambassadrices du département de la Manche. Se payant même le luxe de choisir ses plus beaux voyages aux quatre coins du monde.
Je me souviens encore, du
« Mesdames, Regardez, »
En deux trois mouvement,
Le shaker …
(Vendre, c’est prouver, qu’elle reprenait dans son discours).
Avec la dynamique gestuelle.
Top chrono…Une sauce émulsionnée, une vinaigrette … en 10 secondes devant les yeux médusés de la ménagère.
Les recettes vite fait bien faites.
Jamais de mots termites ne sortaient de sa bouche.
Facile, rapide, efficace, économique, solide, incassable…Ces intonations dont la persuasion faisait mouche.
Pendant la dégustation de la charlotte. A haute et intelligible voix, elle récapitulait les bons de commande. A ce moment, je partais subrepticement vers la cuisine pour appuyer sur le bouton rouge de la cafetière Seb afin de contenir mon fou rire. Et comme par enchantement, des articles supplémentaires se cochaient  au fur et à mesure naturellement dans la bonne humeur. Nicole ne perdait jamais le fil.
Depuis 10 ans, elle arpentait le Cotentin plus une partie du Calvados par tous les temps. Une citroën Visa, bourrée d'ustensiles en plastiques dans des ballots géants transparents correspondant aux ventes, qu'elle livrait après chaque réunion.
Une soirée organisée avec Nicole, c'était pour ma mère le Jackpot assuré en cadeaux.
Parfois, je pense à elle, au bocage, aux prairies... C’était une femme menue qui possédait beaucoup de qualités. Maintenant avec le recul, je comprends pourquoi elle était très courtisée dans le canton.
Oui, une simplicité conjuguée à la douceur de son corps, pétrie de gentillesse, une femme débordant d'énergie qui me fascinait du haut de mes seize ans.
Vivant seule en pleine nature au milieu du bocage sans compagnon.
Manquant juste à son bonheur…
 « Vous ne pouvez pas comprendre comme le silence pèse . » Qu’elle répliquait à ma mère concernant les enfants.
C’était une femme libre...
Aujourd’hui, j’ai encore la saupoudreuse de couleur beige,  en ce moment, elle squatte sur ma table.
C’était chouette ! Les Tupperware.

jeudi 23 septembre 2021

La rague

                                                                      

 

Je suis ta lame

Quand tu plonges un couteau,

Où les plaies comme des squames

N'ont que la peau sur les eaux.


D'un bleu de fer qui vire embruns

Rouille un terrain vague,

Et des cimetières marins

Pour aller pêcher dans la rague.


Souviens-toi

Les pieds dans les flaques

On entendait le ressac 

Faire le gué.


Viendras-tu sonder les ténèbres

Que les astres funèbres

Ont déjà noyé?

Souviens-toi les platanes

Haubans des noirs abysses

Et cette mer diaphane

Disparue à jamais...


Dans un filet d'écrevisses.

( Jonavin 2017)


dimanche 19 septembre 2021

Alain Souchon, Ame fifties


 Ferme les yeux vois

Un ballon qui s'ennuie
Sur la plage de Crotoy
Des gens qui rient
Ils ont un p'tit peu froid
Ces gens de Paris
Sur la plage du Crotoy
En face de Saint-Valéry
Les premiers baisers sages
Qui rendent fiers
Dans les cabines de plage
Derrière
Âme fifties
Âme fifties
Dans le Radiola
André Verchuren
Les enfants soldats
Dans les montagnes algériennes
La Picardie est belle
Sur la route ravie
En Aronde "Plein Ciel"
Qui rentre à Paris
Âme fifties
Âme fifties
Rue Campagne-Première
Personne le ramasse
Quand il tombe par terre
"Qu'est-ce que c'est dégueulasse"
Au salon de l'auto sous l'Dome
"Touche pas au grisbi, ducon"
Dans sa vedette Vendôme
Gabin bougon
Jeanne la fatale
File au festival à 200 à l'heure
Dans le train Mistral
Y a un coiffeur
Âme fifties
Âme fifties
Jean-Claude
Bernard, Marie-Claude
Gérard (âme fifties), Monique
Frégate Transfluide, Vedette Abeille
Patrick (âme fifties)
Peugeot 203
Monique, Alain, Françoise
4CV Renault (âme fifties)
Roger, Jacqueline (âme fifties)
Renée, Micheline
Quand c'est l'heure exquise
Viens sous la marquise
Dans un verre de gin fizz
Une légère brise

lundi 6 septembre 2021

Les passants de l'amer



Avec la marée, amarrée

Aux vitrines sémaphores

Les baleines échouées, parapluies bout-dehors

Jettent l’ancre aux tempêtes,

Et retiennent les silhouettes,

Comme les marins retiennent leur corps-mort.


Avec la marée, amarrée

A l’amer des passants

Au bout de la jetée, aux parkings de l’estran

Les caddies s’entrechoquent,

Et vont là de coque en coque,

Comme des marins ivres dans leur fiévreux caban.


Pendu aux mâts des réverbères, un phare radote

Reflet d’un enseigne quand la lumière tremblote.

Quartier-maître dans ces villes de misère

Qu’on ira mettre en quartiers, de ponts en ponts

De voile en voile, d’îles en ailes.


Avec la marée, amarrée

Aux vitrines qui dessoûlent,

Quelques signaux en morse labourent la foule

Et filent alors plein foc.

Dans le roulis des pébroques,

Titubent les passants comme des marins dans la houle.


(Jonavin 2017)


dimanche 5 septembre 2021

Du soleil dans les platanes


Je les trouvais beau les platanes à Château Gontier. 
A cette époque, je roulais l'automne d'Angers à Laval.
Sur la route, de cette nature insolite, j'm'en disais des choses, en regardant la mayenne angevine.
 « Une longue Démonstration c'est un sujet qui n’en demande pas plus au risque de s’éparpiller dans des descriptifs trop longs qui pourraient gêner le rêve"
Des instants courts qui ciblent,
« Le bonheur »,
Je le voyais comme une histoire en mouvement…
Une façon de voir la vie de l'autre côté,
Mais dans mon imagination, j’avais beaucoup de temps mort et je savais qu'il fallait davantage pour réveiller une dormeuse.
J’avais bien commencé par le premier regard mais je n’étais pas allé jusqu'au bout.
Cependant, elle avait marqué mon esprit...

vendredi 16 juillet 2021

Un nombre parfait 3ème et 4ème partie

 J'ai égaré le passage concernant l'escalier de Chartres pour la 3ème partie. Désolé, impossible de retrouver le fichier.

.../...
Vous sera craché autant de fois qu’il apparaît dans notre bible. Céleste, comme la béatitude, les anges. Comme ces corps, qui bientôt pourriront derrière un talus ou une porte cochère.
Céleste comme discipline et le nombre 13, au rang des chiffres maudits. Mais vous n’en savez rien, mon père. Vous, vous marchez en me parlant des étoiles, du pardon des hommes, d’une justice à l’encan du péché des fidèles qui vous suivent aveuglément
Hector Gaillac n’expiera pas du péché de gourmandise. Avant que je ne le rencontre, il doit fêter ses noces de tourmaline en avril prochain. C’est un boucher gras et adipeux, féru de viande bisonne qu’il bonimente parfois sur un marché couvert d’Issoudun. Je le tuerai avec une fourchette de maillechort planté dans la gorge. A vendre ses côtelettes, ce bon vivant dépeceur, touche au sacré.
Tout comme Amandine Creusot d’ailleurs, étudiante en histoire que j’étranglerai en récitant les Djinns de Victor Hugo. Elle aussi touche au sacré. Je l’ai rencontré lors du rassemblement des jeunesses chrétiennes à la gloire du pape. Froidement, je l’écoute me parler de son travail sur les tombes miniatures, sculptées dans la pierre de la Grande Pyramide. Sur le règne d’Osiris ou celui de Jéhu à Samarie en Israël. Comme une litanie où les chiffres résonnent dans un reliquat d’histoire déjà oublié.
Ce qui est mystère doit rester mystère.
Mieux que le crime, mon père, j’ai trouvé un nombre parfait…

(texte jonavin)

lundi 12 juillet 2021

Un nombre parfait (2ème partie)

 Au cœur de la Beauce, département de l’Eure et Loir, à moins de trente kilomètres de Chartres. C’est ici que nous sommes, en vue des flèches du clocher. Partis de Notre-Dame, sous la galerie des Rois où veillent les statues, j’ai le long du trajet, ressassé les « temps de l’Ecclésiaste : chapitre 3, verset 2 à 8 »

…Il y a un temps pour tout, un temps pour toutes choses sous les cieux. Un temps pour… »Une manière symbolique de donner corps à mes pulsions, de baliser ma folie intermittente et de jauger ce jeune séminariste qui inquiet, avait tout de suite chiffonné le papier de mon énigme non résolu, en souriant. (Une plaisanterie de gamins, n’y prêtons guère attention et prions maintenant, voulez-vous…) 
Prions, oui. Pour le salut de votre âme. Pour l’opus 28 de Chopin. Prions mon père, pour l’Avent et les constellations chinoises. Pour tous ces mystères qui vous condamnent. Prions pour les changements de lune et le mois de février purificateur. Et priez pour notre vieillard crédule, renvoyé aux calendes grecques, mort de sa belle mort. Ce géronte de Sparte, élu local et maire influent, tombé accidentellement du pont des Minimes. N’est-il pas dit que Dieu juge ainsi les justes et les méchants ? Aujourd’hui, nous fêtons les romains. Et quoi de mieux que l’hiver pour tuer les miasmes de votre existence d’ascète. Et que retenir de vos marmonnements secrets ?
A la première halte, je lui donne ma gourde. Calice de douleur où la patène de mes doigts couvre ses lèvres déjà molles. Depuis la forêt de Rambouillet, je lui récite l’acte des apôtres, énumérant chaque matière avec un sang froid méthodique. Je l’observe qui hoche la tête. Sans doute se souvient-il de son sacerdoce pas si lointain où étudiant religieux, il travaillait encore sur les occurrences…

texte Jonavin

vendredi 2 juillet 2021

Un nombre parfait




 Le prêtre Armand Morel a un vieil accent lorrain. De profil, je peux lire l’alphabet de Dieu dans les voyelles de sa voix sonnante. Comme une peau moite, elle transpire puis s’essouffle à mots espacés. Dans l’écho des brodequins ferrés, tintent les tiraillements douloureux de son pas claudicant. D’une haleine, voilà qu’il rabâche en bon perroquet, les pèlerinages de Pentecôte et l’itinéraire de cette route régionale emprunté autrefois par Charles Péguy. Je l’écoute réciter un passage de la crucifixion, calquant mon allure à sa démarche engourdie. A perte de vue, l’ombre de mon bâton gangrène la terre humide. Les champs de blés verts habités de vent. Et le ciel, qui arrosé de gouttes froides colle aux chemises. C’est un vent d’orage. Un vent boiteux qui trébuche sur la lecture du prêtre dans ses images d’Epinal.

Sac à dos, une demi-douzaine de famille déambule le long des fossés. Contre les rafales, quelques scouts ci-et-là, brandissent mollement leurs bannières multicolores. D’autres encore, égrènent leur chapelet, tête basse, jambes lourdes, n’évitant plus les flaques qui désormais, reflètent l’image d’un cortège désuni.
Du macadam goudronné monte une odeur de mort lente. Dans le faisceau de plusieurs lampes torches, le ciel semble à peine éclairé.
L’aumônier s’arrête pour reprendre haleine. A cet endroit, le sol est caillouteux avec un chemin tissé de ronces jusqu' à la borne. Il écoute battre son cœur fatigué par l’effort. Je l’observe prendre appui sur sa badine. Un obèse du nom de Gaillac manque à l’appel, ce qui porte à six maintenant, le nombre de fugitifs ou de disparus depuis la veillée de prière.
L’averse torrentielle de cette nuit a trempé les sacs de couchage. Et peut-être anéanti le courage des plus fervents à combattre les doutes autour du bivouac. Dans ma besace, un jeu de dominos et une édition de poche du roman " Robinson Crusoé " ne sont qu’un alibi. Comme l’arsenic versé à petites doses dans son café brûlant.
Le père Morel n’a pas revêtu son costume ecclésiastique. Pas de longue robe boutonnée très haut ni de chapeau à glands comme le curé d’Ars dans " le sorcier du ciel ". Juste un pull à col roulé vert pomme. De son front large, un bonnet noir et quelques cheveux fillasse lui prête la crinière épaisse du bison. Longtemps, j’ai cherché dans ce visage poupin, une figure vieillie, amère, détestable. Mais je n’ai vu qu’un visage en pleine lune. Bouddha méditant sous son figuier. Et la coiffe en plumes d’aigle d’un chaman Arapaho. Comme la beauté du diable encorné pendant la danse du soleil, un totem dans un face-à-face spirituel entre la bête et le danseur. Je n’ai vu que mes crimes, fautivement quantifiables, atroces, calculés, prémédités.

texte Jonavin

jeudi 17 juin 2021

Restaurant brasserie Fouquet's


  

D'après le menu, 120 euros/pers. service compris. Ce lieu tant critiqué n'est pas le plus beau resto de Paris mais j'aimerai m'asseoir confortablement sur cette terrasse, j'ai toujours aimé le face à face spirituel où le féminin, masculin se mélange dans la séduction dont les regards persistants bercent les émotions fraîches dans la temporalité.

                        Le menu est simple, épuré pas de noms à la gomme, à rallonge.
                        Le chic parisien à portée de main.. Attention, parfois (être sous le charme d'une femme vénusienne) peut nous amener à commander une bouteille de Dom Pérignon. ici le champagne monte vite à 850 euros, tout de même la température sera de 5 à 7 ° Celsius et le garçon vous apportera la carte.

                        Voici, le déroulé. Je suis un gars de banlieue, avec moi tout est compris.

Apéritif 
Coupe de Champagne

***
Entrées
Carpaccio de Saint-Jacques,
 
Marinière de légumes parfumée à la citronnelle
ou
Pressé de légumes
ou
Marbré de foie gras de canard
 
Jean -Loup Dabadie
ou
Douze escargots de Bourgogne
 
à la persillade

***
Plats
Noix de Saint-Jacques françaises,
 
Risotto aux courgettes, écume de parmesan
ou
Merlan Colbert, pomme au four
 
à la persillade, sauce tartare
ou
Daurade royale marinée aux herbes Crest,
Bohémienne de légumes, cannelloni de caponata
ou
Médaillon de veau grillé,
 
Céleri pomme navet Daikon,
 
Champignons sautés au jus
ou
Demi- volaille rôtie
aux herbes de Provence,
jus perlé

***
Desserts 
Chariot de pâtisseries maison

***
Vins
(½ bouteille par personne)
En accord parfait
Selon conseil

***
Eaux minérales
(½ bouteille par personne)

***
Café Gold Selection
Mignardises

mercredi 16 juin 2021

Zepellin

 Le jardin s' est refroidi aux cosses de l' hiver. Parfois sourd une lueur qui vient pomper la terre avec des nuées d'averse. Elle creuse l'ombrage des fruitiers, brûlant d'un reflet rageur le trop plein des côteaux.

Les deux mains sur le manche, Herman plante sa fourche. Tout en rallumant son mégot, il suit du regard les ombres fumantes descendre sur la ferme, cent mètres plus bas. Soudain surgit son porche avec un escalier à jour central ouvrant sur une courette.
La toiture à larges débords mange la façade et force quelques tuiles à disparaître sous les encoignures. Comme celles mauvaises de l'étable où le vieux distingue le lustre des sonnailles derrière une étroite lucarne. Mais au détour, rien n'éclaire autant que le jasmin, palissé le long du mur dont les rameaux attisent encore de leur floraison dorée les recoins les plus sombres. Il aime cette lumière jaune givrée. Comme celle de son jardin avec l'éclat des baies lumineuses de l'argousier.
De son feuillage aciéré comme la toile d'un dirigeable, l'arbrisseau lui rappelle alors ses années de pilote dans la marine impériale.
Déjà une heure qu' ils ont grimpé le talus pour semer les annuelles. Frantz l'accompagne dans le clos de rocaille où poussent les cornouillers. Juste parce que les branches représentent l'armature sanguine d'une guerre qui n'en finit pas de vieillir. Perplexe, le vieux fait rouler son mégot d' une lèvre à l'autre. C' est vrai que cette guerre-là voit passer bien trop d' hivers. Pour preuve, les nazis ont déjà ferraillés le graf depuis deux ans.
Il laisse flotter son mécontentement sur les fougères d'un parterre boisé.
Ici et là, la clôture goutte des moignons d'eau. Dans les fossés, près du muret, aux endroits où la neige résiste. Le sel répandu a déjà rogné la glace. Mais les pluies qui tombent à seaux depuis une semaine ont inondées les prairies d'alpage en nids d'écume. Comme des rinçures de tonneaux que le ciel lape à grands coups de langue ricane le grand-père. De la brune aux aurores, les nuages ont trempé la nuit au maillechort. Et les éclats de gris, coulés tant de miroirs sur la crémaillère qu'elle scintille ici comme une lame d'argent.

(texte Jonavin)

lundi 14 juin 2021

Collioure


 

Si Henri Matisse, un beau matin, avait chevauché des notes au galop sur le sillet d'un ciel fougueux. Si bleu...

Je n'avais pas fermé tous les volets de ma chambre ni les couleurs de la méditerranée.
De ces vignes étagées comme une robe gitane dont le décor m'offrait le spectacle.
Mon regard ne plongerait pas dans le vertige de la mer bleue.
Je savais que ce rosé de décembre chaufferait doucement ma bouche.
Dès les premières gorgées, les épices douces m'apporteraient les notes poivrées.
Le grenache amplifiant les parfums de fruits mûrs, cassis, framboise , la syrah contrebalançant l'équilibre pour partir dans le rouge léger, flamboyant.
Paupières mi-closes. J'écoutais " La tsigane s'enivrait de la fraîcheur du vent chaud.
Avant de sentir la groseille sauvage s'écraser légèrement sous ma langue.
Mon coeur soufflant de solitude, j'avais réveillé l'éclosion envoûtante de ma bohème.
Bien que le vent du nord m'enroulât dans les ruelles teintées d'ocre et de rose.
Dans la perception aromatique intense, j'entendais encore le cliquetis de ses bracelets fins...
 

dimanche 30 mai 2021

L'aube aux trousses

 





Avec l'aube à tes trousses, la silhouette s'estompe. Comme autant de gommages que le temps efface.
D'abord sur une colère sanguine. Pour mettre du rouge aux joues et dépeindre ton embarras, là, sur ce trottoir où le sublimé a rejoint le vulgaire. Mais dans l'immobilité des choses, reprendre des couleurs te semble superflu. Pas la moindre touche ce soir, sinon le sang d'un gloss épais. Tu te mords les lèvres. Sous un néon, tu fardes les paupières d'une nuit démaquillée. Certaine qu'elle ne peut traîner son dernier quart-d 'heure sur de simples talons aiguilles.
Ton vanity n'est qu'une salle de bain d'hôtel. Tu remets donc un peu de noir à tes yeux. Comme un deuil, capable d'édenter la bouche folle des regards.
Prendre un tub aux aquarelles. Quand la défaillance des petits carreaux raccommode tout ce qui coule. Quand le miroir te renvoie à la rue. Vieux tableau, as-tu besoin de masquer tes doutes? De fondre en larmes par ces eaux fortes qui, sous l'ombre des cernes bleutées, tirent encore un trait sur ton passé? Effacés, la grisaille et le rimmel sur l'oreiller. Tout ça n'est que poudre aux yeux. Cette vie à coup de bâton ne t'a pas vernie, certes, mais il fallait bien te défendre bec et ongles! Même si aujourd'hui, tu as le crayon facile, paraître moins belle ne maquille pas chez toi, d'autres vérités. Ce n'est sans doute pas la crème dans la beauté fragile des sentiments; ni la houppe de tes cheveux en désordre qui feront de toi un modèle. Mais qu'importe! Pour retenir tes amants, il te reste un peu de khôl. Un sursaut de dégoût pour ces maroufles qui te jugent pot de peinture et te méprisent dans le pinceau de leurs fards. Tu voulais vivre une vie d'artiste sur la toile. Avec une palette riche pour étaler la lumière de tes jolis yeux. L'amour en trompe-l'œil en a décidé autrement.
Même si hier je te préférais nature, celle-ci semble morte à présent. Tu prends la pause que le temps achève d'égarer. Une corbeille, quelques fruits. Une robe légère qui tournoie dans la fraîcheur de tes vingt ans. Et au pastel de tes doigts, reste un fond de teint où la mascarade vient brosser un portrait peu flatteur. Quand le matin qui veloute encore un peu de nuit, donne à tes pas la grâce d'une vie éternelle...

(texte Jonavin)

mercredi 26 mai 2021

Bleu pour le ciel à contre courant



Allongé sur le dos
Yeux mi-clos

Hier, j'aimais

Le mouvement de tes doigts

Oscillant dans la seiche au vent
Chapeau de paille entouré d'un ruban
Flottant
L’insouciance
J’aime tout en toi
Quand tu sèmes à tout vent
Là, où ton ombre butine
Et caresse les peaux blanches
Libellule pour la tourbe légère
Bleu pour le ciel à contre courant
Bleu  pour la romance

mercredi 12 mai 2021

La paimpolaise

 

Depuis la côte de granit rose, le vent rase la lande.
En ce dimanche de mai, les rochers vêtus d'embruns embaument le sentier douanier.
Allongée, même si dans les pensées la paimpolaise réveille des linceuls de parfum.
C’est bien connu, la vie ne s’attarde ni hier ni aujourd'hui.
Mais en arrière, dans le croisé du hasard comment peut-on oublier un visage, c’est comme la providence refoulée.
Sur la jetée de Ploumanach, Gaëlle peut l'entendre, le suivre...
A marée haute, partout les ajoncs et l'agrostis, battue par la houle remonte le premier émoi. 
En face,
"Les 7 îles " là, où les oiseaux arrachent désormais un morceau du ciel comme une grande voile pour écraser ces années de doute.
Peuvent-elles encore gifler la dormeuse enflammée?
Les yeux rêveurs, Gaëlle attise le feu de l’aube comme pour saborder encore un ciel imbibé d’éclats violacés. 
Ce phare de granit, de roches tendres dont la flamme couleur miel éclaire des portions de nuit où d’emblée l’aréole soulève des linceuls d’embaumeur.
De ce visage hermétique, elle ne peut promettre la lune.
Sinon l’abandonner dans une pénombre recueillie. Là, où règne un désir d’expiation.
Cette lueur la protège des laideurs korriganes que sont l’ennui et la résignation. Qu’elle cueille en ronds de sorcières, chaque dimanche au fond du jardin, 
Aujourd'hui, elle n'ira pas déjeuner chez ses parents.
D’ici, elle peut humer le vent comme un animal, le suivre à sa trace…
Blottie entre les rochers, les cheveux dénoués au milieu des fleurs sauvages.
L’eau gerbe une écume douceâtre où la vie mordue par le ressac enrobe son silence.
Voilà donc ces fleurs bleuir l'océan. Le cœur qui pardonne?
La dormeuse s'enroule d'un bouquet de bruyère.
Sous un nœud, les sentiments écorchent le poing serré.
Elle le sent rougi, repu de vide, grignoté par les crevasses sous un châle encore transpirant.
Le hoquet lui monte à la gorge mais elle refuse les larmes.
Gaëlle fixe l'horizon, la mer semble figée.
D'avis, elle sourit que le phare n'aime pas éclairer les souvenirs d'une drôle de gangue...

lundi 3 mai 2021

Candy box

 




Dans l’étoupe des trottoirs, mes cheveux filasse essuient quelques rires visqueux. Effluent urbain charriant ses peurs usées. La foule passe. Indifférente.
Lentement, je remonte la route d’Aubuisson. Des murs cachou et mangés de rouille ont déjà grignoté le feu de l’aube. Comme atomisés par des essences de menthe anglaise, ils abandonnent leurs écorchures à des dragées de plomb.

Après avoir emprunté le boulevard, au sortir d’un immeuble en chantier, je souffle un peu.
Le ciel est à l’orage. Juste en face, un rouleau compresseur des travaux publics étale sa poudre d’Antésite. Aux commandes, Négus, hilare me jette un sourire de fer–blanc. Celui-là comme moi, semble s’amuser des sucettes parapluies de certains badauds. Soudain il explose de rire, Blackoïds Brown expectorant un noir d’ivoire à sa veste jaune acidulé. Son rire goudronneux me fait du bien.

Quartier Saint-Aubin, je me souviens avoir longé sur une centaine de mètres, la rue de la Colombette, aspirant le Hall aux Grains avec des Coco Boer achetés la veille au Paradis Gourmand.



Ce matin, étrangement, la Garonne s’est endormie dans un sirop de badiane. D’ici, je peux respirer ses liqueurs anisées tandis que je m’attarde devant la vitrine éclairée d’une épicière en blouse de vichy. Pensif, je me demande s’il lui reste des Magistra  Florent, quelques grises au goût amer ou encore des bergamotes rafraîchissantes d’avant-guerre. Sans doute pas.

Mais le gling, de sa porte qu’on ouvre, me rappelle, enfant, l’étalage des bocaux et la vente des bonbons au détail. C’est plein d’amertume que je m’éloigne de la boutique.
Dès la première rafale, j’entends l’appel du large. Dans le coquillage des roudoudous et leur voile de cellophane où tempêtent des caramels au beurre salé. Dans les cordages de sucre candi aux mâts de Twisty Pop frottés à la brique du centre-ville. Je presse le pas. Pour fuir cette foule de guimauve, encapuchonnée de berlingots tristes. Il pleut maintenant à grosses gouttes. Je ramasse les flaques sous mes semelles, ravi de mettre un soleil en boîte.

Je tâtonne mon gousset afin de m’assurer que le mien est toujours là. Il fut un temps pas si lointain où Bout de Zan mâchouillait aussi sa réglisse sur le bitume. J’y pense parfois comme ces grains de café au parfum de violette. A ces bâtons, en place d’une vieille palissade où le bois est mordillé du bout des lèvres.  Je garde en mémoire les pastillages parfumés d’Uzès. Ils jaunissaient les dents, effaçant d’un trait de gomme l’enclume du cœur et donnaient à la rue, une humeur joyeuse. Je n’ai pas trouvé les Bienfaits de Lajeunie rue d’Aubuisson. Ni les cachous goût blond, avenue de Larrieu.
Qu’importe, ce soir je prends le train pour Flavigny.
Je me retourne, le visage ruisselant. Au loin, Négus a déjà fondu avec un petit signe de la main…

(texte Jonavin)

jeudi 29 avril 2021

lundi 26 avril 2021

moi vouloir toi



 Je déteste l'autoroute même si je pouvais te rejoindre.

 IL y a bien longtemps que je t'aime.

Depuis, je m'habitue aux courants d'air, au silence de tes yeux.

J'aimerai tellement suivre le cours des choses, oublier la raison qui m'empêche d'oser.

Et pourtant, chaque jour, chaque nuit,  mes pensées s'envolent vers ton cœur.

Comme les mots de la chanson de Françoise Hardy.

"Moi vouloir toi de haut en bas, de bas en haut sans bas ni haut sans haut ni bas".

L'équilibre, pour vivre et rêver avec toi.

Oui, je pourrai te rejoindre.


jeudi 22 avril 2021

De tes propres ailes





 Ton ménage semble ne jamais finir tant le ciel azuré est immense. Qu'il pleuve à seaux et tu bats les tapis de tes ailes comme on époussette des moutons d'écume. Dans ces moments là, il plume un frisson d'orage que tes cerceaux roulent en javelle. Dans ton duvet, juste la nuit. Un brocart à ramages cousu de lune. Un vent en chiffon. Et la rosée, qui parfois trempe à nu ta livrée de misère sur le toit du monde.

Tu n'as rien d'un oiseau domestique. Même si tu t'essores depuis un trentième étage. Tu inventes la lessive d'un bateau-lavoir, blanchisseuse sur une corde à linge savonnant les gros nuages noirs. Acrobate, tu voles en palier dans les draperies d'un monde si sale qu'il te faut le briquer à genoux. Nettoyer ses fumées de suie, crachats d'ombres pelucheuses qui filent sous la brosse. Tant de rêves à polir les cuivres d'un soleil déjà mort, tant d'amidon pour les cols de tes pensionnaires, nourris, logés, blanchis, qu'ils ont perdus tout amour-propre. Ceux qui te réduisent en poussière, tu le sais bien, n'ont pas le moindre éclat dans le regard.
De pylône en pylône. De tour en tour, ils construisent des cages étroites. Des épinettes où l'on trousse la volaille. Des nichoirs pour couver les oiseaux de basse-cour. Et des clapiers pour les cadavres d'enfants.
A la tombée de la nuit, toi tu lessives à la cendre de bois. Quand les ombres bouillies infusent sous le feu des étoiles. Ici, quelques cristaux de soude. Là, un peu de bleu de méthylène fondu dans la bassine d'un ciel rincé. Et soudain, c'est la nuit claire d'un monde qui respire les saisons. Alors, tu cherches dans l'échappée, d'autres flots, une embellie qui viendrait frisotter la seiche du vent sur laquelle tu aimes t'endormir. Dans ces buées où la brume n'est que vapeur, tu frottes, lavandière des dortoirs, tout comme la sentinelle, qui de son vol ondulé, ruse avec le savon. Tu frottes les salissures, l'âme crasseuse de ceux qui ont oubliés de pleurer. De ceux qui ne peuvent laver leurs yeux.
Demain, fenêtre ouverte, tu abandonneras la volière et ses grillages. Et de tes propres ailes, le ciel n'aura jamais été aussi beau...

(texte jonavin)


lundi 19 avril 2021

vendredi 16 avril 2021

(suite) Bouts de Laine

 


Oui, j'ai longtemps pleuré. Mais t'en fais pas, petite fée, je suis toujours le même. J'ai toujours ma barbe en poils de chèvre qui gratte et la crinière filasse d'un pâtre grec. Il n'y a que l'hiver pour tondre les arbres de la rue Sommeiller. Ou le vent pour fagoter les bourres de bois mort qui me saignent encore le crâne.
Si la montagne est belle, il me vient pourtant des envies de transhumance. Là, tout de suite. Tombeau d'un gros lainage sur une robe d'été. Mais je n'abandonnerai pas l'agneline à ses linceuls de neige. Ni ton sourire aux corbeaux moqueurs, même si le froid perdure jusqu'en avril. Devant la mercerie Seguin, j'ai pensé aux bobinettes soigneusement rangées dans ton coffre à trésors. A ces bouts de rien, patchworks divers qui chassaient parfois l'astrakan de nos voyages immobiles. T'en souviens-tu, ma fée?
Hilare, je t'imagine piquer les fesses de ce vieux bouc avec un acier argenté numéro 7. Dans la vitrine, c'est toujours un patron collectionneur de filatures douteuses. Le roi du tricotin et des caches couture, laid et malhonnête. Je ne l'ai pas vu à ton enterrement. Ni lui, ni son jacquard d'ailleurs. D'une pichenette, je réajuste mon béret. Monsieur Seguin a baissé son rideau. La vie continue, sans crèche ni enfants et c'est très bien comme ça.
Peut-on délainer l'usure d'une peau, si vieille qu'elle bêle aux larmes? Dessine-moi un mouton. Cette montgolfière, qui dans le ciel de Chambéry, se pelotonne contre les montagnes. Donne-moi la force de grimper les fils d'Ecosse. Et de ma voix chevrotante, je te raconterai  alors l'histoire des laines australes. Celles de la soie de Saris et des chameaux du Cachemire quand la nuit, je me réchauffais à tes simples rubans. Je t'inventerai l'Angora Turque et le coton d'Egypte. Ces laines peintes sur le corps des népalaises, les cache-cols de l'Himalaya, les ponchos andins, les cavaliers mongols aux culottes épaisses. Toute une vie tumultueuse et impatiente sur un métier à fleurs! Tu vois, rien n'a changé. Près de la fenêtre, doigtier tendu, tu as la grimace douloureuse. Ce mouvement des lèvres, imperceptible, qui me remuait souvent le cœur. Soudain, la montgolfière prend de l'altitude. Le ciel explose avec les épingles macramé d'un monde qui souffre. Je me tiens éveillé, l'oreille tendue vers une autre nuit de grand gel.
Tu ne te réveilles pas...

(texte Jonavin)

jeudi 15 avril 2021

Bouts de laine

 



Que dire des bouts de laine? Quand la vie s'éparpille et que tout s'emmêle...

Il reste aux dimanches des pelotes qui rusent sous le sofa. Un vieux pull-over. Et les aiguilles qui n'ont plus le temps. Dehors, quelques flocons. Un hiver qui feutre l'écho de la rue. Depuis des lustres, sa percale joue les doublures, arrachant aux arbres décousus, des bribes de solitude. Et c'est déjà demain, petite fée. Déjà demain.
Je me suis assoupi. La machine à coudre ronronne comme autrefois. Peux-tu l'entendre, blottie dans ton chagrin à peine fané? Regarde, il neige enfin.
Dans l'œil du chat, ces heures aux reprises assez grossières. L'ennui, roulé en boule sous des coussins moelleux. D'un plaid usé, je caresse la laine ortie, piquée aux souvenirs de tes doigts invisibles. Bleu hollandais. Du même bleu que ce bonnet lutin, en mohair, dont le pompon chiffonnait parfois celui de tes yeux mousses. Pendant les alpages, l'étole et les mitaines réchauffaient nos mains glacées. Ici, le froid grignote les os, même sous une couverture. Tu me manques, petite fée. Comme le clou à crochet où pendouille cette robe un peu rêche. Héritage de ma vieillesse et de mes tourments. A la cérémonie, je n'ai rien dit. Et puis à l'église, les langues sont comme les tapis, trop souvent mécheuses. Mais à la longue, on s'habitue aux courants d'air. A l'inutile.
Je me lève péniblement.
Par la fenêtre, la brume s'effiloche sur les rares passants. Ombres muettes vêtues chaudement de nuit et de silence tricotés. C'est un matin lâche, sans sou ni maille. Un matin qui file. En faillite, peigné aux odeurs du vent. Décembre sans toi, n'a plus de cheminée. Hier, Noël a oublié de frapper à ma porte, les enfants aussi. J'ai allumé une bougie près du sapin, emmitouflé de sommeil et de douleurs. Deux semaines que tu n'es plus là. Deux semaines que je débrouille sans trêve, l'écheveau de ma mémoire et c'est mon plus beau cadeau.
Dans ma chaussette suspendue, rien.
Pour ce bas de laine, toute une vie d'économies et de souffrances! Un châle sur tes épaules nues. Et cette toison fabuleuse, comme un manteau d'agneau que d'autres fourrures viendront bientôt dévorer.  Là où dorment les vieillards chevelus, n'y a-t-il donc que laideur, ma fée?
Au cimetière, j'ai arrosé les fleurs...
Et j'ai longtemps pleuré.

(texte Jonavin)

samedi 10 avril 2021

L'homme aux semelles de vent

 

..."Je suis devenu un squelette: je fais peur"...Tu penses écrire l'aveu à Isabelle dès ton arrivée à Aden. Pour oublier la douleur insupportable qui te ronge le genou. Chaque cahotement de la civière, avec la tumeur qui te grignote de l'intérieur. Pour oublier le supplice des rétractions du nerf pétrifiant le gonflement des veines. Epuisé, ton dos à vif marque l'empreinte d'une autre plaie. Hier, tu es monté à mulet, la jambe attachée au cou. Mais frappé de fièvre, geignard, tu l'a senti si raide, en équerre contre son flanc trempé, que les sabots t'ont cloué le ventre. Désormais, tu ne quittes plus la litière. Ton corps entier n'est que meurtrissure où chaque caillou, sous le pas des nègres porteurs, atrophie davantage ton muscle poplité. Déjà la civière se disloque; pendue aux lourds bagages des chameaux, à cette caravane qui s'étiole de l'arrière, affaiblie et lointaine, perdue depuis des heures dans l'océan effaré de cette nuit diluvienne. Comme un abcès, les ombres baignent une lumière liquide. Au milieu du désert, le vent furieux, semblable à celui des montagnes ardennaises, rabote l'escarpe d'un manteau de lave. Halte à Wordji, quatrième jour, et l'orage suppure des engoulevents. Tu tombes de sommeil.

Pourtant, tu les connais ces étendues déraisonnables, de l'Ogaden à la mer Rouge, d'Ankober au Choa avec le négoce des peaux, des armes ou de l'ivoire. Trafiquant, exploreur, bâtisseur, contrebandier, le désert est un océan de rêves enfouis où la gloire paraît inaccessible. Tu y songes, sous une pluie battante. Couché sur le côté, ruisselant, la rotule malade parallèle à la caisse sur laquelle tu t'es adossé. Grelottant sous cette peau abyssine, le cuir étreint tes chairs ramollies. Te voilà roi. Mais à cet instant, ton regard bleu se souvient de Djami, de Miriam. Des jardins d'Harar ombragés de vignes. Des ruelles mauresques aux échoppes hantées par les hyènes, derrière la factorerie des frères Bardey. Et de ces relents de moka dans la cour, pesés en pièces d'or sur des balances de fer brûlé. Vision intacte: tu rentres au vrai royaume des enfants de Cham. Sans mère, sans pays, dans ce lieu hostile où l'aube ensanglantée ressemble aux poètes maudits.
Marcheur infatigable, tu as fui l'ennui. Les rinçures d'une jeunesse absurde, Verlaine, les saisons en enfer. Mais pourquoi garder dans une sacoche de cuir à soufflets cette lettre qui t'informe de la publication des illuminations? Elle n'est que désordre dans tes archives, tes mots, tes photographies de toutes sortes et le guide de l'aventurier commandé chez le libraire Lacroix. Une infirmité supplémentaire, un regard sur le passé. Ou peut-être  un doute, sur la rupture de ton apparence de poète. Pourtant tu n'as jamais cessé d'écrire. Combien de lettres ont saigné ton émotivité, façonné l'homme africain que tu es devenu dans la prose latente du voyageur? Ces traces là n'ont pas d'éternité.
Un moment, tu penses à la gomme distillée d'oliban qui en huile essentielle ou en massage sur ton articulation apaise la souffrance. A ta maison de bois où d'un lit en terrasse, tu as expédié les affaires courantes avec César Tian. Aux quinze thalers que tu donnes pour chacun des porteurs qui te hissent à hauteur d'homme jusqu'au port de Zeilah. A l'aube qui s'éparpille. L'air devient irrespirable. Comme une haleine fétide écartelant chacune de tes respirations. Tentacules goinfrées d'arsenic venues manger le chancre des incisions malsaines, l'ancienne syphilis n'a pas épargné ton corps malingre. Tu souffres de la peau. Une peau qui n'a plus d'âge, vieillie, cuite par les brûlures et les cailloux. Les rides affolent une barbe couleur fauve. Tu n'es plus certain de ton ahurissement. De ces léthargies  où le moindre mouvement devient torture. Parce que rien n'est pire que le pourrissement du temps. Quand l'ennui suppose qu'il flotte tout contre ta jambe dont les varices mutilent en vain les bandages inutiles.
Tu fixes un point à l'horizon. Dans l'attente des chameaux, tu penses que le poète est un voleur d'ennui...

(texte Jonavin)


jeudi 25 mars 2021

Les lieux de rencontre

 La notion de choix dans la recherche d'un conjoint est assez récente. Elle naît au 19ème siècle pour certains avec l'apparition d'une forme de littérature romantique diffusant des idées nouvelles d'amour et de sentiments.

Qui ne se souvient pas de "L'éducation sentimentale" de Gustave Flaubert, étudié au collège sous l'enthousiasme d'une prof de français. (Il faut que je retrouve ce passage. Il a 17 ans, il frôle Marie sur le bateau de la Seine).

Sous l'ancien régime. Le choix était lié aux biens, à la dot, au nom et même à la propriété de la terre. Le mariage jouait un rôle essentiel en regard de la reproduction de la société dans ces structures et en particulier pour assurer la stabilité des hiérarchies des pouvoirs et des fortunes.
Pour les sociologues, ce régime démographique se caractérisait par le fait qu'il était subi : "La vie ne cessait d' être précaire ; on acceptait les enfants que le ciel envoyait". On se mariait suivant la coutume. Tout n'était pas dit à la naissance, mais peu d'événement jusqu'à la mort, relevaient d'une décision.
Les temps ont changé et on n' échange plus aujourd'hui des biens ni des noms mais des sentiments.
"Coup de foudre", âme sœur, rencontre magique. C'est le hasard qui fait la rencontre, le destin. C'est en tout cas l'impression populaire.
Sous l'apparence d'une liberté nouvelle et totale.
L' homogamie existe, prédomine mais se transforme : au final, le niveau social et culturel reste une composante déterminante dans le choix d'un potentiel conjoint. Bien évidemment, on n'aborde pas l'autre dans l'intention consciente d'identifier ces critères.
Les combinaisons possibles entre les individus désacralisent le rôle de hasard et de la coïncidence.
Les individus s'unissent de préférence avec leur égaux sur l'échelle des classes sociales. Cette tendance vaut pour tous les niveaux sociaux.
Certaines trajectoires ne se croisent jamais, les semblables ou du moins ceux qui partagent une même culture de groupe s'assemblent plus fréquemment.
Bien plus pervers, le choix est biaisé par les différentes formes de socialisation et de sociabilité auxquelles participent les acteurs. Elles jouent le rôle de filtres endiguant le champ des possibilités à portée de chaque individu.
Ce qui les conduisent vers le destin sentimental pour reprendre le slogan
"N'importe qui de même n'importe qui ne se rencontre pas n'importe où"

Avec ce triangle :
- Lieux publics
- Lieux réservés
- Lieux fermés

(Il est là le petit passage de Flaubert)

Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda...
Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l'ovale de sa figure...
Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manoeuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière.
Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier a ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu'elle avaient portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession physique disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limite.
Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être...
Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans! Mais entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber : Frédéric fit un bond et le rattrapa.
Elle lui dit :
- "Je vous remercie, monsieur"
Leurs yeux se rencontrèrent

Existerait-il donc bien un fort déterminisme social régissant les unions entre les individus?

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