lundi 6 juin 2022

Guy de Maupassant (on pourrait dire plutôt Aristote que Platon)

 



«
Allons donc, c’est stupide de dire ces choses-là ?

– Il n’est jamais stupide de dire la vérité. Je te répète qu’un garçon, pas laid, pas bête, assez roué, habitué aux femmes, à leurs manières, à leurs défenses, à leurs caprices, à leurs faiblesses, qui sait lire dans leur cœur, dans leur âme et dans leurs yeux, qui pressent leurs défaillances et devine les fluctuations de leurs désirs, vient toujours à bout de celles qu’il veut. Je dis toujours, et de toutes, presque sans exception. Et l’exception dans ce cas ne fait que confirmer la règle. »

Quatre jeunes gens debout écoutaient la discussion. Trois d’entre eux tenaient pour Jean de Valézé qui soutenait la cause de la pluralité des femmes honnêtes. Un seul soutenait énergiquement l’avis de Simon Lataille, qui reprit : « À quoi sert la discussion sur ce point, d’ailleurs, et comment nous entendrions-nous ? Nous ne jugeons, nous ne pouvons juger de ces choses que d’après notre expérience personnelle. Or, si vous avez trouvé beaucoup de rebelles, il est indubitable que vous devez croire à la sagesse des femmes, tandis que si j’ai rencontré beaucoup de défaillantes, j’ai le droit de conclure à leur faiblesse. Or, songez que la vertu et la résistance ne tiennent à rien, à un cheveu, comme on dit, oui, à une mèche de cheveux frisés d’une certaine façon, à l’expression d’un œil, au je ne sais quoi mystérieux qui rend un être, homme ou femme, instantanément désirable pour les créatures d’un sexe différent.
Celui-là, ce privilégié triomphera toujours ou presque toujours, sans effort, par la seule puissance de sa nature, en vertu de ce don secret qu’il a, de ce charme inconnu et sensuel qu’il porte en lui, don et charme inaperçus de ses voisins de même race, alors que ces mêmes voisins, plus intelligents, plus beaux même, échoueront dans leurs tentatives. D’où il résulte que deux hommes pareils ont le droit de ne pas voir la vie et les femmes de la même façon.
Et puis il y a ceux qui s’y prennent mal, ceux qui se découragent trop vite, ceux qui ne distinguent jamais le moment précis et surtout ceux qui désirent peu parce qu’ils ne savent pas vraiment aimer les femmes. Je dis que le vrai désir, le désir brûlant, le désir qui fait frémir la main et enflamme le regard est contagieux comme une maladie. Une femme qui se sent désirée ainsi appelée ainsi est à moitié vaincue d’avance. Et elles sentent cela, par tous leurs nerfs, par tous leurs organes, par toute leur peau. Ce genre de sympathie-là est irrésistible, voyez-vous. Mais, sacrebleu, il faut que le ton de toutes vos paroles, que tous les mouvements de votre bouche, que toutes les caresses de vos yeux, leur disent et leur répètent l’ardeur de votre appel. Si vous causez avec elles comme vous le feriez avec un professeur d’histoire, elles vous résisteront jusqu’au jugement dernier ! Quoi que vous leur disiez, pensez à leur étreinte, pensez à leur baiser, pensez à leur nudité, et derrière vos paroles les plus chastes et les plus graves, elles devineront, elles sentiront cette sollicitation pressante et muette.

(Guy de Maupassant)

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