dimanche 5 mai 2024

Les Johnnies

 




Les journées étaient longues, il ne fallait pas oublier les gourdes d’eau pour s’asperger le cou et le visage.

La compagnie Ar Pen polis comptait 50 vendeurs d’oignons.

Les uns spécialisés comme botteleurs restaient en base à Southampton et les autres marchands colportaient l’oignon rose à travers tout le pays où les ménagères anglaises appelaient communément  « Johnnie » du fait de leur petite taille parce qu’ils étaient souvent accompagnés de leurs jeunes enfants.

Ces aventuriers quittant le port de Roscoff depuis 1828 sous les embrassades humides à travers les filins, laissant les jeunes mères paysannes tristes. Ces marins impuissants voyant peu à peu s'effacer sur le quai des charrettes à bras derrière la ligne d’horizon.
La séparation durait six longs mois.

Ces johnnies, au fil des décennies, découvrant toute l’Angleterre. Peut-être le plus intrépide, Le Guénidec, cinquième génération qui arpentait tout le Comté de Sussex, de ferme en ferme, chaque saison.
C’était sa 22ème traversée sans interruption. En l’an 1927, ce 14 juillet, son fils Augustin âgé de 10 ans, l'accompagnait pour la première fois.
Le père se remémorant marchant au même âge avec son père. Depuis de longues années, un bâton sur le bâti des épaules avait fait de lui à présent un gaillard.
Ils étaient originaires de Tréguier, bourg assez éloigné du pourtour de Roscoff.
Le Guénidec, trente deux ans, béret bien enfoncé, sillonnant la campagne anglaise à bicyclette dont des tresses d'oignons roses dégringolaient du guidon jusqu'au garde de boue.
Ces vélos ressemblaient davantage à une chenille se faufilant au milieu des prairies vertes. 
Il n'était pas rare d'apercevoir, 
Bordée, par la belle côte sud de l’Angleterre, la craie blanche diffusant une lumière douce. 
Tout en haut de la falaise, les vélos et les bérets éparpillés à côté des fleurs sauvages.

Les Guénidec regardant l’océan, du moins la mer.

Libres, comme le vent.

Le père proche de son enfant. Enlacés dans les blés. Bercés de tendresse dans les couleurs cuivrées d’oignons.
Le vent léger du nord parfumant les cheveux sous un ciel étoilé sous les yeux émerveillés de Marie de l'autre côté de la Manche. La paimpolaise n'ayant pas sommeil, veillant sur la mèche emboutie. 

La providence mordre un moignon d’aube posée sur la margelle. 
Quelques portions de nuit comme une dernière lueur se déposant sur la côte granit rose avant qu’Augustin et son amoureux, ne referment de l’autre côté les paupières…

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