jeudi 22 avril 2021

De tes propres ailes





 Ton ménage semble ne jamais finir tant le ciel azuré est immense. Qu'il pleuve à seaux et tu bats les tapis de tes ailes comme on époussette des moutons d'écume. Dans ces moments là, il plume un frisson d'orage que tes cerceaux roulent en javelle. Dans ton duvet, juste la nuit. Un brocart à ramages cousu de lune. Un vent en chiffon. Et la rosée, qui parfois trempe à nu ta livrée de misère sur le toit du monde.

Tu n'as rien d'un oiseau domestique. Même si tu t'essores depuis un trentième étage. Tu inventes la lessive d'un bateau-lavoir, blanchisseuse sur une corde à linge savonnant les gros nuages noirs. Acrobate, tu voles en palier dans les draperies d'un monde si sale qu'il te faut le briquer à genoux. Nettoyer ses fumées de suie, crachats d'ombres pelucheuses qui filent sous la brosse. Tant de rêves à polir les cuivres d'un soleil déjà mort, tant d'amidon pour les cols de tes pensionnaires, nourris, logés, blanchis, qu'ils ont perdus tout amour-propre. Ceux qui te réduisent en poussière, tu le sais bien, n'ont pas le moindre éclat dans le regard.
De pylône en pylône. De tour en tour, ils construisent des cages étroites. Des épinettes où l'on trousse la volaille. Des nichoirs pour couver les oiseaux de basse-cour. Et des clapiers pour les cadavres d'enfants.
A la tombée de la nuit, toi tu lessives à la cendre de bois. Quand les ombres bouillies infusent sous le feu des étoiles. Ici, quelques cristaux de soude. Là, un peu de bleu de méthylène fondu dans la bassine d'un ciel rincé. Et soudain, c'est la nuit claire d'un monde qui respire les saisons. Alors, tu cherches dans l'échappée, d'autres flots, une embellie qui viendrait frisotter la seiche du vent sur laquelle tu aimes t'endormir. Dans ces buées où la brume n'est que vapeur, tu frottes, lavandière des dortoirs, tout comme la sentinelle, qui de son vol ondulé, ruse avec le savon. Tu frottes les salissures, l'âme crasseuse de ceux qui ont oubliés de pleurer. De ceux qui ne peuvent laver leurs yeux.
Demain, fenêtre ouverte, tu abandonneras la volière et ses grillages. Et de tes propres ailes, le ciel n'aura jamais été aussi beau...

(texte jonavin)


2 commentaires:

  1. L'homme qui murmure à l'aile des oiseaux...
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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  2. Ah, j'avais cru lire "l'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux"

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