lundi 13 février 2023

La tapisserie de l'Apocalypse




Elle était montée in extrémis dans le train.

Encore secoué, 

Heureusement, il y avait le jardin du Mail pour reprendre mes esprits.

Pour ceux qui ne le savent pas, l’Alaska est un cocktail qui vient du grand nord.
Un goût fort que j’avais goûté dans l' après-midi. La Chartreuse était belle dès que je l’avais aperçu en jean et tee-shirt blanc. M'apostrophant de son délicieux accent, pour me demander l’horaire du château.
C’était une jeune fille au pair Irlandaise attendant de visiter la tapisserie de l'Apocalypse.
Etudiante en histoire, spécialisée dans l’art roman. Je me souviens encore la voir assise sur le muret en train de déplier sa grande chemise cartonnée dont je reconnaissais des gravures d’eaux fortes de l’Eglise de Cunault.
Pour la première fois, je sentais la chaleur montait dans le bas de mon dos.
Les mains moites, la gorge sèche,.
Dans un élan de générosité,
Je lui proposais la visite guidée des lieux. Elle avait accepté à condition que je la raccompagne à la gare de Saint-Laud pour le TER de Saumur.
Je connaissais un peu les aspects extérieurs du château Roi René. Depuis deux semaines, je me gargarisais l’esprit avant de prendre mon service pour tuer le temps.
J'’avais choisi le médiéval,
Dans l’hôtellerie, la notion de service, linguistique, commerciale, technique et relationnelle est importante pour gagner plus en pourboires. J’avais beaucoup de retard par rapport à mes collègues qui maîtrisaient l'art de séduction. Tous ces branquignoles sortis tous frais des écoles hôtelières, formatés à la sauce mielleuse. Comment pouvais je rivaliser?
Forcément, je manquais d'automatisme, de connaissances, il fallait bien que je rattrape ce laps de temps pour les concurrencer.
Et pour réagir,
Chaque après-midi, depuis les marches, assis dans la galerie, je contemplais les groupes, fasciné par l’aisance des interprètes, leur éloquence, la façon de répondre avec tact, cette persuasion fine conjuguée à tout ce savoir, ce raffinement sur l'histoire me subjuguait.
En les observant, peu à peu mon blason imaginaire se dessinait mais j’étais encore loin d’être un guide de haute voltige. A 24 ans, je possédais une carte de demandeur d’emploi. C’était gratis et je profitais de l'aubaine pour me cultiver à l'œil. 
Mes extras à La Salamandre ne débutaient qu'à 18 heures. Pantalon noir, veste blanche, liteau blanc, c'est vrai quand j'y pense, j'entrais dans le monde chevaleresque.
Bien que je connaissais les couleurs de la trame, le jaune, le rouge et le bleu, de ces décorations du moyen âge du restaurant. Les termes de la gaude, de la garance et du pastel utilisés par les vacataires en toile de fond ne me disaient rien et je me demandais comment j’allais m’y prendre avec la belle Shanna pour lui expliquer 103 mètres de long, six thèmes de vingt cinq mètres.
Je me voyais mal relatant les actes d’apôtre de Saint-Jean l’évangéliste. Avec 14 tableaux sur une tapisserie en lisse de 4,5 mètres de haut, le tout conjugué sur des visions prophétiques comme un livre ouvert sur la liturgie céleste de Jésus Christ. Comment lui révéler les nombres 7 et 666 dont je ne maîtrisais ni les occurrences ni la guerre de cent-ans en filigrane médiévale.
Je crois que je m’étais vite emporté devant les yeux de la celtique.
C’était en juin, par chance les remparts étaient là. Je commençais donc mon chemin de ronde sur la courtine, histoire de lui faire sentir la brise angevine.
Le temps était splendide.
Je faisais remarquer à Barbarella que les poivrières avaient disparu des tours au XVII ème siècle.
En effet, la Bretagne et la Normandie n’étant plus hostiles au roi de France, celui-ci avait ordonné la déconstruction du château. Seules les coiffes avaient été rasées grâce à un habile gouverneur qui avait désobéi au roi en faisant traîner les travaux.
Maintenant on pouvait admirer l'Anjou à ciel ouvert,
Elle prenait des photos.
Sur la tour nord, on apercevait le vieux pont de pierre de la Maine qui reliait le quartier la Doutre. Du signe de la main, je montrais l'endroit de l’école nationale des beaux arts, lui expliquant chaque soir, ça regorgeait d'étudiants attablés dans les bars typiques aux maisons à pans de bois dans une ambiance souvent parfumée aux senteurs d’herbes brûlées.
De fil en aiguille, j'apprenais mon nouveau métier de tisserand mais je me demandais si mes petites histoires l’intéressaient.
Maintenant, je la regardais qui s’attardait dans le jardin potager, se frottant les doigts avec de la lavande, me faisant signe de venir. Ce dont je ne manquais pas. M’offrant ses mains délicatement pour me les faire sentir comme on le ferait d’un baiser qu'on défroisse. Le cœur battant, je m'approchais doucement en la regardant dans les yeux.
La galerie climatisée de l'apocalypse pouvait attendre...

2 commentaires:

  1. Voilà un billet qui me parle doublement.
    Sans doute à cause de mes origines irlandaises par la grand-mère de mon père, mais aussi parce qu'un de mes fils habite Angers. mais je crois te l'avoir déjà dit.
    Il reste que l'histoire d'amour évoquée ici est tremblante et magnifique, j'adore.
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

    RépondreSupprimer
  2. Je connaissais une origine italienne maintenant irlandaise. Voilà de quoi alimenter les hypothèses les plus improbables sur Célestine.

    RépondreSupprimer

Membres