mercredi 15 février 2023

Quand viendra le printemps


 
Un autre disciple lui dit : " Parle - nous de ce que tu ressens dans ton cœur en ce moment même. "Il regarda cet homme, et l'on percevait dans sa voix comme le chant d'une étoile lorsqu' il répondit : " Quand vous rêvez éveillés, si vous vous taisez pour être à l'écoute de votre moi le plus intime, vos pensées, comme des flocons de neige, tombent et tourbillonnent, recouvrant d'un blanc silence tous les bruits de l'espace qui vous entoure.
" Et que sont ces rêves en éveil, sinon des nuages qui bourgeonnent et fleurissent sur l' arbre du ciel dans vos cœurs ? Vos pensées ne sont - elles pas aussi des pétales de fleurs que les vents de votre cœur répandent sur les champs de collines ?
" Comme vous attendez la paix jusqu'à ce qu' en vous l' informe prenne forme, ainsi les nuages s'assembleront et dériveront jusqu'à des Doigts Bénis façonnent leurs désirs gris en petits soleils, lunes et étoiles de cristal. "

Alors parla Sarkis, celui des disciples qui doutait un peu : " Mais le printemps arrivera, dit-il, et toutes les neiges de nos rêves et de pensées fondront et n' existeront plus."
Le maître lui répondit : " Quand viendra le printemps, pour chercher sa bien-aimé dans les bocages assoupis et les vignes, la neige fondra, certes, et se précipitera en torrents pour rejoindre le fleuve dans la vallée et offrir une coupe de fraîcheur au myrte et au laurier.
" De même, la neige de votre cœur fondra, elle aussi, quand votre printemps sera là, et votre secret se précipitera lui aussi en torrents pour chercher dans la vallée le fleuve de la vie. Et le fleuve emportera votre secret jusqu' à la mer immense.

" Toutes choses se dissoudront et deviendront chansons avec l' arrivée du printemps. Même les étoiles, les gros flocons de neige qui tombent lentement sur l' étendue des champs, tout se fondra dans la musique des ruisseaux. Quand le soleil de Sa face apparaîtra au-dessus du large horizon, quelle harmonie glacée refusera de se dissoudre en mélodie liquide ? Et qui, parmi vous, ne souhaiterait offrir une coupe au myrte et au laurier ?

" Hier encore, vous voguiez sur la mer mouvante, vous vous sentiez loin des rivages et vous n' étiez pas vraiment vous-mêmes. Puis le vent, le souffle de la vie, le visage caché sous un voile lumineux, vous enveloppa, vous saisit, vous façonna, et, la tête haute, vous avez dirigé vos regards vers les hauteurs. Mais la mer vous suivait et son chant résonne toujours en vous.
Bien que vous ayez oublié les liens qui vous unissent, elle revendiquera toujours son titre de mère et toujours elle vous appellera vers elle.

" Lorsque vous errerez par les montagnes et les déserts, toujours vous vous souviendrez de la profondeur et de la fraîcheur de son cœur. Et bien que souvent vous refusiez de le reconnaître, c'est vraiment à la houle de son immense paix que vous aspirez.

" Comment peut-il en être autrement ?

Dans les bosquets et les charmilles sur la colline, quand la pluie danse dans les feuillages, quand la neige tombe - C'est une bénédiction et le signe d'une alliance - ; dans la vallée, lorsque vous menez vos troupeaux à la rivière ; dans vos champs, où les ruisseaux, comme des bandes d'argent, strient les étendues vertes ; dans vos jardins où la rosée du matin reflète le ciel ; dans vos prés, quand la brume du soir voile à demi votre chemin : en tous ces lieux, la mer est avec vous ; témoin de votre héritage, elle implore votre amour.

" Il est en vous le flocon de neige qui court vers la mer "

Khalil Gibran (extrait Le Jardin du Prophète)

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