lundi 1 février 2021

Afrique


Tu n'es toujours pas réveillée. Comme toi j'ai quitté la ville sépulcrale; cette aube au pastel jetée le long des riches avenues. Une arachide torréfiée corroie ta peau nue et moite.

De la savane où à hauteur de paume, je caresse l'herbe à éléphant, s'embrase un soleil d'ivoire. Crinière flottante, tu te blottis à ma brûlure. Dors petite Afrique, dors encore.
Longtemps, j'ai sillonné les rides de sable, ravins définitifs que mon doigt pistait sur les plissements du front. En voyageur solitaire, d'une pyramide nasale, j'ai appris le tombeau de tes respirations secrètes. L'ombre du désert, les dunes en croissant surlignant tes paupières closes. Mais surtout la colère du Nil et ses felouques à joue, le temps des crues.

Ici, l'hiver emprisonne les brumes glaciales. Triste Carthage, mes indigènes refusent toute pluie bienfaitrice. Celle qui nourrit pourtant le coeur des hommes, la terre sacrée des ancêtres.
Esclaves, ils ont des noirs méduses qui leurs cachent l'offrande du ciel. Mais peut-être que l'indigo du tien vole à l'éclat des grands anneaux, la manganèse et l'or de Galam. A la saison des pluies, c'est la kora des griots mandingues qui arpègent le delta de tes yeux. En saison sèche, le sitar de Khasim l'égyptien, dont le souffle barbare, capable d'allumer des brasiers au fond d'un murmure, consume tous les maléfices. Dors Petite Afrique, dors encore. Avec tes rugissements de lionne. Arraché de l'animal totémique, serpent scarifié et venin dans le dos, je m'abandonne un instant à ton génie protecteur. A celui qui se love en sifflant quand je promène ma virilité guerrière autour de tes hanches.
Au bal des Signares, reine mulâtre, tu m'as racontée l'île de Gorée. Pendant des mois, j'ai suivi une caravane fantôme. Les bijoux tatoués de ta nuque. La gorge du Zambèze, sauvage et profonde jusqu'à la chute de reins prévisible. Missionnaire, Levingstone, j'explorais là, les jaillissements d'écume, la sueur de ton corps exsudant les cataractes avec l'esprit d'un guerrier Massaï. J'ai vaincu le bush, Kalahari, ses croûtes de sel dans l'ombre furtive d'un Rimbaud. J'ai vaincu le secret des femmes-girafe, celui des clans disparus, les pygmées de la sylve équatoriale. Voyage initiatique, d'aucuns pensaient que j'avais le pouvoir d'être invisible. Pour toi, oui, je l'étais.
Tout comme le langage rituel des masques Dogons, j'ai appris d'autres dialectes.
Tes racines, tes mystères, les odeurs de souffrance, les cris du ventre.
Les omoplates, plateaux abyssins où mes doigts courent sans cesse n'ont rien d'un safari. Dors Petite Afrique. Dors encore.
Excisée, maraboutée, par tant d’ensorceleurs, ta sauvagerie envoûtante ne charrie plus l'âme des tambours. Même si je les entends battre ce matin. Comme un chant d'espoir, un chant d'adieu.
Je me suis endormi à la pleine lune de ton nombril. Dans la syncope du Djembé qui rythme le coeur, j'entends les battements du monde. Nombril de cornaline, de peinture et de sang mêlés. Petite Afrique, ton enfant à venir a déjà faim.

Combien de pistes encore,  de steppes infinies, de montagnes et de plages où je m'épuise à te découvrir si belle? Combien de courbures, de galbes dans la mosaïque de ton corps offert? J'ai traversé Soweto, quelques huttes zoulous, la rébellion et l'injustice de tes rêves agités. Et soudain, dans le mouvement de tes yeux qui s’entrouvrent, j'aperçois,  face à la mer, ton cap de Bonne-
Espérance.

Texte Jonavin

5 commentaires:

  1. La femme, ce continent encore mystérieux...
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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    1. Le continent masculin est encore plein d'énigmes également et c'est tant mieux! :-)

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    2. Tout est une question de géographie, n'est ce pas Mesdames? :-)

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  2. Puissant comme texte, comme la femme, comme le continent africain! Merci pour ces mots qu'on déguste. Bises alpines.

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