samedi 14 novembre 2020

Orange


 Dans mon rétroviseur, un angle mort. Un rectangle qui s'étrangle. Vision confuse à l'envers du ciel : l'arête

d'un toit, un tronçon de chaussée en dos d'âne. Des traits de feu.

Tout à l'heure, il y avait une route. Droite. Ton visage aminci, ton triangle jusqu'au front. Cap-bon et ses orangeraies. Une oasis, des maltaises bien mûres.
Maintenant, c'est la vue d'un jardinier andalou qui m'intrigue. A l'angle de ses lèvres, je devine un menton saillant. Des yeux noirs qui piétinent ton rire aux éclats. Tes lèvres sanguines comme une plaie.
Bon sang! Toi qui avait la ligne, voilà qu'elle se brise sous ton caftan. Dans la brèche, quelques mains secourables te brancardent à la sauvette. Désespérément. Peuvent-elles, par accident, garder les coupures de journaux de tes blessures oubliées? Comme une ligne de coeur alors infranchissable.
Une intersection de deux voies qui ne s'entendent plus.
Je t'appelle, tu ne me réponds pas sinon par un murmure à peine audible. Par la pression de tes doigts sur ma nuque qui poisse un fruit trop vite éclaté.
Je ne bouge pas. Tant que tu respires...

Dans mon rétroviseur, un angle mort. La sangle qui m'étrangle avec ton corps inerte. Des falbalas de perles, un coup de volant. Le pare-brise singeant une pluie de saphirs quand tout bascule. Tout à l'heure, il y avait un bord de plage. Ta main tatouée dans la mienne. Ma vie sous un angle différent. Si proches, tes regards savaient traquer mes points faibles. Tout ce qu'il n'était impossible de voir. Tout ce que je refusais de comprendre, dans la conduite d'amis trop complaisants.
Dépassés l'amour propre, les ego  Tu rectifiais mes écarts, mon angle de tir : mettais à nu mes défauts. Comme une évidence, un trait de bravoure...
Tout à l'heure, il y avait ton bouquet, des rires juteux, des nappes blanches. Cette voiture de location, capot fleuri. Un soleil brûlant sur une ligne d'horizon parfaite.
L'accolade entre parents. Et surtout ces toits en fuite que je voyais mourir plein écran.
Maintenant, il y a la route. Encore. Le ciel orangé. Ces lignes qui s'entrechoquent. Voiture, route, horizon. Celles qui se brisent, dans les contours d'une vie, incapable d'arrondir les angles.
Ils y a ces lumières agressives, tournoyants. Ces bruits de ferraille, linéaire sans épaisseur.
Ces odeurs d'agrumes veines de rouge.
Cette faille imprévisible où doucement je te perds.

(texte Jonavin)

2 commentaires:

  1. Un drame, des zébrures de ciel et de route, l'inattendu du hasard quand il se fait destin.
    Tout cela exprimé avec une grande force d'évocation.
    La géométrie de la vie force parfois les lignes.
    Bravo
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

    RépondreSupprimer
  2. Je transmets le compliment à mon frère.
    Bises Célestine

    RépondreSupprimer

Membres