lundi 30 novembre 2020

Place Saint Silain


 D'abord il y a cette clarté. L'embrasement du mur de la Cigale dilué dans un bain de soufre. Sur la place, s'écrase un ciel d'averse qui réveille l'étuve d'un marché aux fleurs. Là où les étals suant des étincelles détrempent le jaunet des tournesols. Mais c'est un plein soleil qui escalade à présent la cathédrale Saint Front ; on le devine électrique, au milieu des coupoles byzantines

Un instant Madeleine le suit du regard. Elle pense aux crépis bulbeux d'autrefois alors qu'il grimpe la tige du haut clocher. Ici, à l'ombrelle éclairée d'angélique pour le bouquet rond de la lanterne.

Au store en demi-lune coiffant la vitrine du bijoutier. Ou à celui du salon de thé, face à la fontaine étincelante.

Effeuille la marguerite que le vent emporte...sussure t-elle.

Déjà la toile de la cigale égoutte le reflet des fenêtres sur le mica des tables bistrots. Un client fume une cigarette à la terrasse. Dans ce tapage criard, Madeleine vit un court moment de tristesse. Comme un flambeau grossier de jonquilles qu'elle penche au bord des larmes pour allumer la peur de ses yeux.

Sombres pensées...

A peine onze heures. Sur les toits, le soleil n'arrive plus à faner les tuiles trop rouges. L'odeur du foin vert. Mais surtout l'herbier d'oiseaux morts qui lui trotte encore dans la tête.

Rue du petit cimetière. Madeleine brûle d'impatience.

Entre les pavés, elle pense aux soucis que les chalands piétinent. Au millepertuis pour éloigner la mélancolie ; et sur le fer forgé des balcons, à toutes ces jardinières qui font scintiller d'or et de sang les lourdes bâches ruisselantes. Entre groseille et doré, la septuagénaire pense aussi aux colchiques d'automne pour le cœur vénéneux des hommes. Image furtive mais douloureuse qu'elle étouffe dans un profond soupir.

Il n'y a pas de roses sans épines...

A la terrasse, l'homme s'est levé.

Soudain l'éclat est si lumineux qu'elle imagine un soleil torpillé dans le feu de l'eau.

A ce gargouillis de lumière, fait d'orage et d'incendie pour enflammer l'ombre des tilleuls.

Tranquillement, Madeleine dispose ses trois panneaux de carton autour d'elle. Elle y a inscrit les bribes de son histoire à l'aide d'extraits de journaux. Collé la photographie de ses enfants, celle de son mari dans leur hôtel périgourdin. Vendu. Elle explique en détail les courriers du tribunal, ses dettes. Juste l'ortie du monde irritant ses bouquets champêtres. Personne ne s'aperçoit qu'elle asperge ses cheveux d'essence. Parce qu'ici comme ailleurs, la solitude n'est pas une fleur cultivée. Une fleur de jardin.

Et la vie t'aime un peu, beaucoup, passionnément...

Sa voix est claire. Dommage. Personne ne l'écoute... à la folie, pas du tout...

Alors au dernier pétale, Madeleine craque une allumette...

(texte Jonavin)



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