jeudi 5 novembre 2020

Amalia

 Lacis de ruelles, fado d' un pincement de cordes. Dorés, les murs lépreux adorés, la cour pavée de Bairro Alto. Cette mélodie que tu joues, Cançao do mar, C' est la saudade du grand large. Celle de l' Electrico qui suppure ses bancs à la marée des poulpes éclairant la ville. Dans la houle des rues pentues, les goulottes clignent une ophtalmie purulente. Lambine, tu t' accroches au tramway qui peine à monter. Aux abcès de fièvre. A la chaleur étouffante.

Je suis arrivé comme un spectre, Francesco. Et c' est à la ville que je veux offrir mon dernier adieu. Entre cuir et chair, emmurée dans la salle d' attente du purgatoire des statues. Avant l' éternité.

Il est des escapades comme du fado : chagrin, déchirements, blessures. Lisbonne est pour moi un trajet du souvenir. Une plaie pour l' enfance perdue, Alfama justement et ces années d' apprentissage où je danse avec la mémoire.
Regarde, Mémé Ana do Rosario est pelotonnée sur sa banquette. Vêtue d' un châle qui ressemble à l' aube de Dieu, elle chuchote la miséricorde des passages. Celle des vivants. Mais en fermant les yeux pour éviter son regard, c' est surtout mon histoire que je surprends dans le souffle de la prière. Ici, une fête de l' école, les escaliers de faubourg, le linge saumâtre pendu aux fenêtres. Adolescente, j' y cousais les voiles de l' évasion quand sous mes paupières, j' entendais clapoter un impossible océan. Là-bas, les marches populaires et les cabarets de nuit. Le café Mondego, sanies de lumière et de poésie où la douleur funanbule ne cesse de grandir.
Silence, car on va chanter le fado! cries-tu...
Un avertisseur sonore beugle le prochain arrêt. Puis la rame s' ébranle à nouveau, lâchant les freins sur ces images d' enfants qui jouent dans la cour.
Ma fatrie, mon silence, ma chair que je ne connais pas. Que je ne connais plus. Alors je chante. Droite, figée, fière. Pour toi, Francesco. Et pour ce public qui m' écoute, le coeur lourd.
Dans les couinements métalliques, l' arpège de ma guitare portugaise s' accorde aux secousses. Rytmées par un ongle postiche de tortue, c' est pourtant un autre luth qui vient nous ensevelir dans sa carapace. Lenteur excessive. Le temps n' a plus de repères. Du pouce, je gratte un accord presque étouffé. Je me mêle à la viola de tes mots. A ces caravelles d' amour jetées au vent qui soudain claque comme l' exil de nos âmes en fuite. Déjà la mort habite le cimetière marin qui me borde les yeux.
Cançao do mar vivre et rêver avec toi dit la chanson. En queue du tram, je devine ton sourire à travers le hublot. Fuyard. Lointain. Ton visage égrène chacune de mes notes pincées tandis que peu à peu, tu t' éloignes. Même les écaillures de ma voix laissent derrière nous des miasmes de souffrance. Mais c' est mon amour qui pourrit, Francesco. Juste mon amour.

Tout près, Le Tage, mer de paille, crache ses plaies de feu dans le coeur des Lisboètes. Souvent la vie se charge de recouvrir les gloires défuntes. Il suffit d' un tramway pour la voir défiler, grimper ou descendre les sept collines du destin. Dans l' ordinaire de ma ville qui respire le fado.
Lacis de ruelles, fado d' un pincement de cordes. Dorés, les murs lépreux adorés. J' abandonne ma voix au conducteur. Le terminus de la Mouraria ne me relie plus à ce monde...

Cançao do mar (chanson de la mer)
Une pensée pour toutes celles
et à ceux qui aiment le fado

texte jonavin

2 commentaires:

  1. Le soleil de Lisbonne. Et la mélancolie du Fado. On voyage par-delà les frontières dans un texte qui s'enroule autour des vieilles pierres qui chantent. Bises alpines.

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  2. Si un jour, je suis à Lisbonne j'aimerai le soir goûter au fado.

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